Du 4 au 25 août, rediffusion du meilleur de l’année

Article publié le mercredi 26 mars 2014

De bon matin, Maître
Yakafokon penché sur son écran, l’air soucieux, épluche les dépêches
économiques, crayonne les cours de la Bourse de la veille et parcourt les
analyses financières de la nuit. C’est à ce moment qu’entre dans son bureau
Marie-Rose, sa fidèle assistante personnelle.

Marie-Rose : Bonjour
Maître, vous êtes déjà en pleine cogitation ?

Maitre Yakafokon : Non,
non Marose, je parcours simplement la presse, comme d’habitude. Vous êtes d’une
élégance ! Faites-moi vite un zizou sur la zouzou.

Marie-Rose : Oh
Maître ! si quelqu’un entrait…

Maitre Yakafokon : Mais
non, il n’y a encore personne, faites-moi vite un zizou sur la zouzou.
Docile mais pas rassurée
pour autant, Marie-Rose déposa un rapide baiser sur la joue tendue.


Maitre Yakafokon : Qu’avez-vous
donc ce matin, je vous trouve bien tristounette, soucieuse peut-être ?

Marie-Rose : C’est que,
Maître, je me fais du souci, un vrai sang d’encre. Je n’ai pas fermé l’œil de
la nuit.

Maitre Yakafokon : Et
pourquoi donc ? Encore les siennes de votre abruti de mari ?

Marie-Rose : Non, Maître,
rien à voir, beaucoup plus grave

Maitre Yakafokon :
Exprimez-vous donc Marie, je vous en supplie. Cesser de jouer aux devinettes et
de me faire languir. Que vous vaut cette mine de Mater dolorosa ? 

Marie-Rose : C’est que…
comment dire…. euh… dans la presse…. Ma voisine m’a montré le journal où on
parle du retrait d’Adecco de la famille Chocolat.

Maitre Yakafokon
: Hum…
Marie-Rose, pour la mille trois cent dix-septième fois, je vous demande
de ne
pas nommer ainsi nos principaux bienfaiteurs. Vous manquez de respect à
ceux
qui vous nourrissent, à qui vous devez tout, absolument tout, l’air que
vous
respirez comme l’eau que vous buvez. Vous devriez chaque matin, même en
pensée, leur baiser les pieds et louer le ciel qu’ils continuent à nous
prodiguer leurs bienfaits. Et même votre pavillon à
Trifouillis-les-Corbeaux, votre Fiat Panda turbo D… Tout, quoi, vous
leur devez tout. Je ne veux plus
vous entendre les appeler ainsi. C’est un manque de respect manifeste.
Une
offense à la grandeur.

Marie-Rose : Bien Maître,
mais il parait que nos… bienfaiteurs prennent la poudre d’escampette avec, à ce
que dit ma voisine, vingt-deux millions d’euros en poche. 

Maitre Yakafokon :
Décidément, vous êtes fâchée avec les chiffres ma pauvre fille. Que voulez-vous
que de pareilles sommités fassent avec vingt-deux pauvres petits millions
d’euros ? Hein, franchement ? Pourquoi pas vingt-deux euros pendant
que vous y êtes ! Multipliez par cent mon ingénue Rose et vous aurez
plutôt deux milliards et deux cent millions.

Marie-Rose : Comment
est-ce Dieu possible, je croyais que nous étions en crise et que plus rien
n’allait comme il faut et que…

Maitre Yakafokon : Ma
douce idiote, il va quand même être temps que vous preniez un peu de hauteur et
cessiez de raisonner ou plutôt même de résonner comme une midinette. La crise,
c’est pour les pauvres, ne mélangez pas tout ! N’avez-vous donc rien appris à
mon avantageux contact ?

Marie-Rose : Je peine à
me rendre compte, Maître. Vous savez, avec mes deux mille euros par mois, de
pareilles sommes ça me donne le vertige. Mais bon, que va-t-on devenir ?
Un élu CFE CGC a dit qu’on allait être chocolat.

Maitre Yakafokon
(dissimulant son courroux et faisant mine de ne pas avoir entendu) : Rien d’inquiétant mon amie. Rien d’inquiétant.
Vous connaissez le dicton : « un actionnaire de perdu, dix de
retrouvés ». À nous les fonds de pension américains, peut-être même les
investisseurs chinois, qatari, indiens, russes, que sais-je ? Servons avec
enthousiasme ces nouveaux maîtres exigeants à qui nous réserverons le meilleur
de nous-mêmes. Sacrifions-nous pour leur magnificence, leur gloire, leur
sublimité et leur fortune. Abandonnons-nous au plaisir inégalable de servir et
d’enrichir. Vous verrez, il y a un plaisir orgasmique à se sacrifier pour une
si noble cause.

Marie-Rose : Oui,
peut-être Maître, mais on dit que les fonds de pension américains….

Maitre Yakafokon
: Ah ça
alors, vous n’allez pas verser, vous aussi, dans l’anti-américanisme
primaire
de bas étage. Auriez-vous oublié tous ces petits gars venus il y a sept
décennies du Kentucky, du Texas ou je ne sais d’où encore mourir sur nos
plages normandes pour la victoire du Bien sur le Mal ? Payer
aujourd’hui leur retraite n’est qu’un juste et modeste
retour et pour nous un honneur ! Nous ne faillirons pas et honorerons
notre dette perpétuelle comme il se doit.

Marie-Rose : Oui, sans
doute Maître, sans doute, mais nos propres retraites sont plus qu’incertaines
et il faudrait peut-être d’abord penser à….

Maitre Yakafokon
: Suffit
Marie-Rose ! Je m’en doutais, je vous attendais là. Vous êtes
indécrottable. Vos raisonnements étriqués me hérissent et me révulsent.
Votre égoïsme crasse me donne même de l’urticaire. Que me
chantez-vous là avec « nos » retraites ? Qu’avez-vous donc besoin de
retraite ? Et c’est le CDI par ci, la protection maladie par-là, les
salaires en veux-tu en voilà et en plus il faudrait, passé un certain
âge, se
les rouler en glandant devant des feuilletons débiles ou en binant
mollement
son jardin et tout ça aux frais de la princesse ? Et quoi encore ?
Oublions ces revendications passéistes, ringardes, archaïques,
paléolithiques
même. L’avenir, c’est la souplesse, la mobilité, la flexibilité, la
malléabilité, l’adaptabilité et surtout la pauvreté pour tous. Oui,
Marose, la
pauvreté pour tous, voilà vers quoi nous devons tendre avec enthousiasme
et
sans regret. La globalisation est à ce prix, le savez-vous ? Nos destins
se jouent à Washington, Londres, Bruxelles, Tel Aviv, Pékin, Moscou…
dans les
conseils d’administration des multinationales et des banques et seule
notre
docilité pourra peut-être nous assurer le boire et le manger.
Enrichissons
l’hyper-classe et ils vous laisseront peut-être de quoi vivre. N’est-ce
pas exaltant
ce monde enfin débarrassé des miasmes de l’argent et de l’envie.
L’argent est
chose trop sérieuse pour le laisser entre toutes les mains. La pauvreté
pour
tous…euh… pour presque tous, n’est-ce pas excitant ? Pour ce qui est de
la
retraite et de nos vieux jours, nos bons maîtres ont de grands desseins
pour
nous. Je ne peux vous en dire plus mais de prochains projets de loi
devraient
venir apporter une solution…euh…radicale à la question. (Maître Yakafokon, un
rictus inquiétant aux lèvres, ne put contenir un ricanement sarcastique
).

Marie-Rose : Arrêtez
Maître, vous me faites peur…

Maitre Yakafokon : Vous
avez raison, je digresse, je m’éloigne, je… Je vois bien que vous n’êtes pas
prête à recevoir la Vérité. Revenons à nos moutons, nos petits moutons bien
gentils et dont vous prétendez prendre tant soin. Demain, des actionnaires
viendront remplacer nos bienfaiteurs et la vie continuera comme avant. Il nous
faudra leur rapporter plus en gagnant moins, sur un marché en décrue et, cerise
sur le gâteau, avec des équipes démotivées. C’est passionnant Marose, la
quadrature du cercle, la recherche du saint Graal, un défi à la hauteur des
hommes d’exception… J’en suis tout fébrile et je veux me montrer digne de pareille aventure.

Marie-Rose : Oui… je
vois… il faudra donc encore tailler dans le réseau, fermer de agences, diminuer
les effectifs, pressurer les salaires, grignoter sou par sou, gonfler encore
les frais des agences, retarder les règlements, provisionner, provisionner et encore provisionner. Pour
ça on ne manque pas de provisions chez Adecco ! Ça sera encore pire que du
temps de la famille Choc… euh… de nos bienfaiteurs. Finalement, c’est vrai ce
qu’ils disent sur leur blog la CFE CGC. Faut reconnaître qu’ils ont toujours
tout dit, tout écrit, tout prévu, tout annoncé. Je sais que ça vous irrite ce blog mais
faut reconnaître quand même…

Maitre Yakafokon (soudain très agacé et
congestionné, au bord de l’apoplexie l’interrompit  brutalement
) :
Ah, je vous prie de ne surtout
pas me parler d’eux. Toujours à vouloir défendre les salariés,
revendiquer des
salaires plus élevés, des avantages et autres billevesées. Des malades,
Marie, des malades vous
dis-je. Ils n’ont rien compris au sens de la grande Histoire dont je
vous parle. Heureusement, bien peu de salariés se syndiquent et
nous en avons convaincu un grand nombre que cela ne servait à rien. (rire
nerveux
)
(Puis
se ressaisissant )
J’aurai tout essayé pour vous faire
grandir Marose mais je vois bien que vous ne le pouvez pas. J’en prends acte. J’ai
trop parlé. Oubliez mes propos. Votre sensiblerie, votre empathie comme vous
dites, votre naïveté vous amèneront toujours à voir les choses par le petit
bout de la lorgnette. Ça vous tire vers le bas. Vous ne pouvez penser grand.
Vous êtes petite, petite, petite, petite…
Tant pis belle enfant, vous
avez d’autres charmes, d’autres atouts que je connais, certains autres encore que je devine et qui suffisent,
parait-il, à combler les hommes ordinaires. Allez quand même me faire un café
et surtout gardez cette conversation pour vous.

Marie-Rose (vexée) :
Bien, Maître, avec deux sucres comme d’habitude.

Maitre Yakafokon : Et un
zizou Marose, un zizou.

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