Que reste-t-il du droit du licenciement pour motif économique ?

Un problème ? Une solution ! Comme bien d’autres
domaines, le licenciement pour motif économique a fait l’objet d’une
réforme libérale, les ordonnances s’employant à satisfaire des
revendications patronales pour certaines assez anciennes. Difficile dans
ces conditions de trouver les axes autour desquels s’articule la
réforme. Et pourtant, il est permis d’en voir deux : assouplissement et
soustraction.

Sitôt les projets d’ordonnances connus, chacun s’est empressé de
comparer leur contenu au cahier des charges gouvernemental. Au jeu des
sept différences, on découvre que certaines habilitations importantes
sont restées sans lendemain. Les catégories professionnelles servant à
établir l’ordre des licenciements n’ont pas été précisées ; quant aux
seuils du « grand » licenciement collectif, ils sont restés les mêmes. À
l’inverse, certaines habilitations, plus que synthétiques, ont donné
lieu à des modifications d’envergure. L’étude d’impact annonçait la
consécration de la jurisprudence Renault, c’est finalement la rupture conventionnelle
collective qui fait son entrée dans le Code du travail. Et que dire du
congé de mobilité : plus qu’à un simple toilettage, il a été procédé à
sa totale déconnexion du licenciement pour motif économique. La loi
d’habilitation, l’étude d’impact et les ordonnances diffusées fin août
fournissaient déjà matière à comparer ; si l’on y ajoute les
modifications discrètes, parfois subtiles, introduites dans les versions
définitives issues de la saisine du Conseil d’État, il y a de quoi
perdre le Nord. Pire, les yeux rivés sur cette accumulation de textes,
on en oublie l’essentiel : que reste-t-il, au fond, du droit du
licenciement pour motif économique que nous avions l’habitude de
côtoyer.
Avec toute la prudence qui s’impose, vu le faible recul, il
nous semble que les ordonnances suivent un double mouvement. Le premier,
annoncé dès l’origine, est d’assouplir le droit du licenciement pour
motif économique. Moins attendu, le second mouvement est en revanche
plus profond : parachevant une évolution rampante depuis quelques
années, les ordonnances réduisent comme une peau de chagrin le champ
d’application du droit du licenciement pour motif économique en en
faisant sortir plusieurs catégories de restructurations.



Assouplissement
Cela fait plusieurs décennies
que le droit du licenciement pour motif économique repose sur deux
solides piliers. D’une part, un contrôle de justification, la rupture
devant intervenir pour l’une des raisons admises par la loi ou,
éventuellement, par les juges (« notamment »). D’autre part, une
obligation de reclassement, l’employeur devant préalablement rechercher
une solution alternative au licenciement du salarié. Si l’une des
ordonnances (Ord, n° 2017-1387, 22 sept. 2017 relative à la
prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail) ne remet
pas directement en cause ces deux exigences, elle revient néanmoins sur
plusieurs solutions jurisprudentielles précisant leurs modalités de mise
en œuvre.


Le motif économique de licenciement
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Le
périmètre d’appréciation des raisons économiques, tel qu’il résultait
de deux arrêts du 5 avril 1995 (TRW, n° 93-43.866 et Thomson, n°
93-42.690, Bull. civ. V, n° 123) a vécu. À cette époque, la Cour de
cassation avait fait un choix courageux : tenant compte de la
concentration des entreprises et de l’internationalisation de
l’économie, les hauts magistrats avaient décidé de ne pas s’arrêter aux
limites classiques de la personnalité morale lorsque les licenciements
intervenaient dans un groupe. Dans ce cas, les difficultés économiques
ou la sauvegarde de la compétitivité devaient s’apprécier au niveau, non
de l’entreprise procédant aux licenciements, mais du secteur d’activité
du groupe auquel celle-ci appartenait. Cette solution portait en elle
une transgression supplémentaire : sortir de l’entreprise pour saisir le
groupe pouvait conduire aussi à s’extraire du territoire national pour
considérer le Monde dans son entier. L’idée était forte : l’activité des
groupes internationaux ne s’embarrassant pas des frontières, pourquoi
s’en tenir aux seuls résultats dégagés sur les sols nationaux ? Il
fallait, au contraire, s’adapter aux stratégies globales de ces groupes
en faisant le choix d’agréger les résultats de toutes les filiales, y
compris étrangères, relevant d’un même secteur d’activité.



Made in France 
Depuis quelques années, cette
jurisprudence essuyait la même critique lancinante : construite sur une
vision trop idéaliste, elle protégeait moins les salariés d’un
licenciement qu’elle ne dissuadait les groupes étrangers d’embaucher en
France. Pour certains, il fallait en finir avec cette règle qui fleurait
bon le romantisme à la française. Plutôt que d’espérer lutter contre
les méfaits de la mondialisation, il était préférable de rendre la
France attractive aux yeux des firmes internationales et de mettre fin à
cette jurisprudence inepte. Les « pragmatiques » l’ont finalement
emporté sur les « idéalistes ». Désormais, « les difficultés
économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder
la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette
entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas
contraire, au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des
entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le
territoire national » (C. trav., art. L. 1233-3). Le changement le plus
notable réside dans le dernier membre de phrase : c’est dorénavant sur
le plan national que s’apprécient les circonstances économiques.

Cette
évolution puise ses racines dans l’avant-projet de loi Travail. En
cela, elle n’est pas une surprise. Plus étonnante, en revanche, est la
prise en compte du lieu d’implantation des sociétés mères dans la
définition même du groupe. Dans ses arrêts du 16 novembre 2016 (trois
arrêts, PBRI, nos 15-15.190 et s., nos 15-19.927 et s., nos 14-30.063),
la Cour de cassation avait clairement fait le choix inverse : si elle
avait recentré la définition du groupe sur les critères prévus par
l’article L. 2331-1 du Code du travail, relatif à la mise en place d’un
comité de groupe, elle avait pris soin de préciser qu’il n’y avait pas «
lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire
national ». Selon toute vraisemblance, cette définition valait aussi
bien pour les groupes français que pour les groupes étrangers. Le
nouveau texte se démarque de cette vision d’ensemble puisqu’il distingue
selon le pays d’implantation de la société tête de groupe. Ainsi, « le
groupe est défini, lorsque le siège social de l’entreprise dominante est
situé sur le territoire français, conformément au I de l’article L.
2331-1 et, dans le cas contraire, comme constitué par l’ensemble des
entreprises implantées sur le territoire français ». Cette distinction
s’est manifestement imposée en raison du souhait, présent dès la
première version, de resserrer la définition du groupe sur les seuls
critères de contrôle prévus au I de l’article L. 2331-1 du Code du
travail (en excluant du coup les critères de l’influence du II). Or,
cette disposition ne visant que les groupes français, les rédacteurs ont
compris tardivement qu’un tel renvoi pouvait conduire à exclure les
groupes étrangers de la nouvelle définition. Pour éviter d’introduire
une différence de traitement difficilement justifiable sur le plan
constitutionnel, il fallait donc compléter la formule initiale d’une
référence explicite aux groupes dont l’entreprise dominante est
installée hors de France. Reste que la dernière branche de l’alternative
n’est pas claire : « l’ensemble des entreprises implantées sur le
territoire français ». Mais de quelles entreprises parle-t-on ? S’il
s’agit, comme on peut le penser, de celles désignées par les critères de
l’article L. 2331-1 I du Code du travail, convenons que la construction
de la phrase ne remplit pas cet office…



L’illusion du secteur d’activité
 En apparence,
l’ordonnance n° 2017-1387 consacre la notion de secteur d’activité ;
mieux, elle en précise les contours selon la méthode du faisceau
d’indices utilisée par les juges du fond : « le secteur d’activité est
caractérisé notamment par la nature des produits biens ou services
délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se
rapportant à un marché » (C. trav., art. L. 1233-3). Ces précisions
suffiront-elles à éteindre toute discussion ? Rien n’est moins sûr.
D’abord, en raison de l’adverbe « notamment » qui laisse ouverte la
liste des indices. Ensuite, et surtout, parce que la référence finale au
« marché » pourrait soulever d’insolubles questions de frontières, la
plus redoutable étant de savoir si le secteur d’activité d’une
entreprise est réductible à un seul marché (comme le singulier le
suggère)… Reste que ces interrogations pourraient se révéler, en
définitive, bien théoriques compte tenu de la limitation de
l’appréciation du motif économique aux entreprises établies sur le
territoire national. Car il suffira que les groupes organisent leurs
lignes de produits ou de services par pays, en en confiant la gestion à
une seule filiale, pour échapper à la règle du secteur d’activité. Des
esprits chagrins pourraient se demander si la reprise, même partielle de
la jurisprudence TRW et Thomson du 5 avril 1995, n’est pas, en vérité,
une vaste fumisterie.



La réversibilité a du bon
Pour éviter les abus, la loi
d’habilitation proposait de « prévenir ou [de] tirer les conséquences de
la création artificielle, notamment en termes de présentations
comptables, de difficultés économiques à l’intérieur d’un groupe à la
seule fin de procéder à des suppressions d’emplois », dans le
prolongement de ce que prévoyait l’avant-projet de loi Travail. Faute de
mieux, c’est la fraude qui fut posée comme limite dans la première
version de l’ordonnance diffusée fin août. Mais cette précision a
finalement disparu du texte définitif, sans doute en raison de son
inutilité (l’absence de fraude est une condition implicite de toute
règle de droit…). Et puis, tout bien réfléchi, ce n’est pas vraiment la
création artificielle de difficultés qui risque de se rencontrer le plus
fréquemment ; il est plus probable que les difficultés d’une filiale
soient la conséquence d’un choix stratégique de la société mère. Or,
comme le laisse deviner la jurisprudence sur le co-emploi, les juges
seront plus enclins à y voir la traduction d’une nécessaire coordination
des actions économiques des groupes qu’une faute délictuelle
susceptible d’ouvrir le périmètre d’appréciation… Au-delà, les salariés
français peuvent toujours se consoler en apprenant que le nouveau texte
est plus protecteur que le droit antérieur lorsque leur entreprise fait
des bénéfices. Auparavant, l’agrégation des résultats au niveau mondial
pouvait leur être fatale si des filiales étrangères enregistraient des
pertes (voir, par. ex. : Cass. soc., 28 nov. 2007, n° 06-40.489) ;
demain, la bonne santé d’une entreprise française devrait mettre ses
salariés à l’abri d’un licenciement pour motif économique…



L’obligation de reclassement
 

Urbi et… urbi
Les
changements affectant l’obligation de reclassement relève de la même
logique que celle relative à l’appréciation du motif économique :
l’objectif était clairement de « nationaliser » le périmètre. Cela se
traduit de la façon la plus visible par l’abrogation de l’article L.
1233-4-1 du Code du travail posant le principe d’un reclassement à
l’international. Et comme l’article L. 1233-4 du Code du travail,
désormais seul applicable, vise exclusivement les « emplois disponibles
situés sur le territoire national », il n’y a aucune chance que la Cour
de cassation ne ressuscite cette obligation en reproduisant sa
jurisprudence antérieure (voir, par ex. : Cass. soc., 7 oct. 1998, n°
96-42.812, Bull. civ. V, n° 407 ; voir également, Cass. soc., 4 déc.
2007, n° 05-46. 073, Bull. civ. V, n° 204).



Poupées gigognes
De façon plus constructive, l’ordonnance
n° 2017-1387 consacre la notion de groupe de reclassement en reprenant
mot pour mot sa définition prétorienne : celui-ci est formé par les
entreprises « dont l’organisation, les activités ou le lieu
d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel »
(C. trav., art. L. 1233-4, al. 1). Sauf que la reprise de la
jurisprudence n’est qu’imparfaite. La différence vient d’une précision
ultérieure selon laquelle « le groupe est défini, lorsque le siège
social de l’entreprise dominante est situé sur le territoire français,
conformément au I de l’article L. 2331-1 et, dans le cas contraire,
comme constitué par l’ensemble des entreprises implantées sur le
territoire français ». Voilà, à première vue, une belle et heureuse
démarche d’harmonisation puisqu’est reprise ici la même définition que
pour l’appréciation du motif économique. Le problème est que, dans la
jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, le groupe de
reclassement n’est précisément pas une sous-catégorie du groupe de
sociétés. Ces deux périmètres se donnent plus à voir comme des cercles
concentriques. S’il leur arrive le plus souvent de se chevaucher, ils
peuvent parfois avoir une existence propre. C’est ainsi qu’un groupe de
reclassement peut être caractérisé en dehors d’un groupe de sociétés,
dans un réseau de franchise par exemple (Cass. soc., 15 janv. 2014, n°
12-22.944 ; voir également, Cass. soc., 16 nov. 2016, n° 14-30.063,
précité). S’il en est ainsi, c’est parce que, pour les Hauts magistrats,
le groupe de reclassement est un périmètre autonome, qui transcende les
rapports sociétaires ou contractuels entre entreprises, et dont le seul
critère est l’existence avérée ou potentielle d’une permutation du
personnel. Le renvoi à l’article L. 2331-1 I du Code du travail brise
assurément cette jurisprudence. Dorénavant, il est clair que le groupe
de reclassement ne peut être qu’un sous-groupe de sociétés.



Place à l’autoreclassement !
Autre innovation,
l’ordonnance n° 2017-1387 assouplit les conditions de mise en œuvre de
l’obligation de reclassement. Le Code du travail exigeant des « offres
écrites et précises » (C. trav., art. L. 1233-4), la Cour de cassation
attend de l’employeur une démarche personnalisée supposant l’envoi à
chaque salarié des solutions de reclassement correspondant à son profil.
Dès lors, il lui est impossible, au risque de voir le licenciement
privé de cause réelle et sérieuse, de diffuser à l’ensemble des salariés
la liste de tous les emplois disponibles (par affichage collectif, voir
par ex. : Cass. soc., 3 févr. 2017, n° 15-27.606 ; par lettre
circulaire, voir par ex. : Cass. soc., 19 janv. 2011, n° 09-43.522 ; ou
sur l’intranet de l’entreprise voir par ex. : Cass. soc., 26 sept. 2006,
n° 05-43.840, Bull. civ. V, n° 288). La raison en est simple : c’est à
l’employeur, en tant que débiteur de l’obligation, de désigner les
offres de reclassement qui répondent au profil de chacun des salariés
menacés d’un licenciement.
 

C’est précisément pour briser cette
jurisprudence (« sécuriser […] l’employeur en cas de contentieux » selon
les mots de l’étude d’impact, p. 56) que la procédure de reclassement a
été simplifiée. Selon la nouvelle rédaction de l’article L. 1233-4 du
Code du travail, « l’employeur adresse de manière personnalisée les
offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une
liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des
conditions précisées par décret ». La portée de la modification est donc
à double détente : l’ordonnance rend licite la pratique des listes, et,
ce faisant, limite le nombre de cas où l’employeur pourrait se voir
reprocher un défaut d’exhaustivité dans l’exposé des mesures de
reclassement. Pas de risque qu’un emploi soit oublié ; ils sont tous
dans la liste ! Au-delà de cet objectif de sécurisation, un changement
profond est à l’œuvre : désormais, l’exécution de l’obligation de
reclassement pèsera, un peu aussi, sur les épaules du salarié, puisque
c’est à lui qu’il reviendra d’identifier les emplois conformes à son
niveau de qualification et à ses aptitudes. L’ampleur de sa
collaboration dépendra cependant de l’étendue du cercle des
destinataires : une liste adressée à tous les salariés suffira-t-elle ou
faudra-t-il établir une liste par catégorie professionnelle ?
Souhaitons que le décret promis sur la question réponde à cette
question.
Une autre tendance traverse les ordonnances, plus discrète
que la première mais assurément plus conséquente : la volonté de
soustraire certains types de réorganisation au droit du licenciement
pour motif économique.



Soustraction
Qu’il est loin le temps où le droit
du licenciement pour motif économique attirait, tel un aimant, toutes
les restructurations mettant en cause l’emploi. C’était l’époque, bénie
par certains, honnie par d’autres, des arrêts CEPME (Cass. soc., 10 avr.
1991, n° 89-18.485, Bull. civ. V, n° 179), IBM (Cass. soc., 22 févr.
1995, n° 92-11.566, Bull. civ. V, n° 68), Framatome et Majorette (Cass.
soc., 3 déc. 1996, nos 95-17.352 et 95-20.360, Bull. civ. n° 411).
Qu’une entreprise décidât de supprimer des emplois, proposât des départs
volontaires, envisageât de regrouper des activités sur un seul site ou
de déménager son siège social, le régime était le même : il lui fallait
appliquer tout ou partie du droit du licenciement pour motif économique.
Pour les tenants de cette thèse, il y avait l’idée sous-jacente que le –
mal nommé – « droit du licenciement pour motif économique » était le
régime idéal de toutes les réorganisations ayant pour objet ou pour
effet des ruptures non imputables aux salariés. Ses contempteurs y
voyaient au contraire un dévoiement. Cela revenait à appliquer le régime
des licenciements à d’autres types de rupture. Pire, c’était traiter de
la même manière les ruptures directement prévues par une
restructuration et celles qui n’étaient que la conséquence indirecte
d’une restructuration (en raison principalement du refus exprimé par les
salariés).

Source : WK-CE

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