Voici l’interview essentielle de l’un de nos collègues cadres, un Directeur d’agence BTP qui nous fait part, sans langue de bois, de ses difficultés et craintes. Pour un qui s’exprime publiquement, combien se retrouveront dans ses propos .

CFE-CGC : Bonjour Gabriel, peux-tu, avant que nous entrions dans le vif du sujet, te présenter en quelques mots ?

Gabriel : J’ai 15 ans d’ancienneté et j’ai intégré Adecco en tant que Directeur d’agence, puis j’ai connu quelques affectations et changements de postes…

CFE-CGC : Que peux-tu nous dire de la situation du BTP chez Adecco ?  

Gabriel : La situation d’Adecco dans le BTP … euhcomment direSi je devais prendre une image, j’hésiterais entre le Titanic et le radeau de la Méduse. Dans les deux cas, on n’est pas loin de boire la tasse. Volontairement ou non, on a sinistré ou laissé sinistrer cette activité. Je crois que nous ne sommes même plus à 5% du marché après avoir plus ou moins approché les 18 à 20% au niveau national il y a quelques années. Aujourd’hui nous avons pratiquement disparu du marché de l’intérim BTP. Ça fait peur et je ne sais pas si la direction mesure l’ampleur du désastre. Pour eux ce sont des chiffres mais j’aimerais qu’ils sortent de leurs bureaux douillets et m’accompagnent une journée chez quelques grands comptes du BTP. Pas fous, ils ne s’y risqueront pas de peur d’entendre des choses désagréables. Le problème c’est qu’avec le turn-over des dirigeants personne ne porte jamais le chapeau et n’est jamais responsable de rien. Ce sont en quelque sorte des SARL, des supérieurs à responsabilité limitée. 

CFE-CGC : Pourtant, nos éminents membres de la direction et notamment notre DG ne manquent pas d’affirmer en boucle leur volonté de redévelopper l’activité BTP en y mettant les moyens… 

Gabriel : Quels moyens ? Rien que pour prendre mon agence j’ai trois fois moins d’ETP (équivalents temps plein NDLR) que ce qui est indiqué dans mon budget. Et certaines agences sont en grande difficulté.

Pour moi cette volonté de relancer le BTP ce sont surtout des mots. On avait une position prometteuse  surtout en IDF avec des équipes reconstituées, compétentes, unies et performantes mais le DO de l’époque a voulu tout révolutionner. Le DZ est parti, les dégâts demeurent. Mon équipe est épuisée physiquement et moralement, il faut dire que travailler toujours plus quand on sait qu’en plus on n’aura pas un centime de variable, il y a de quoi se décourager ! 

CFE-CGC : Que penses-tu de la stratégie BTP ? 

Gabriel : On est animé sur du TAC, des PA, un peu dans le style Yakafokon avec des pressions pour toujours plus de CDII et CDIA, alors que la GMMR et les intermissions s’envolent, mais surtout pas de vagues.

gestion de la formation c’est aussi un grand mystère …On a foncé tête baissée en début d’année et aujourd’hui on n’a plus de budget pour répondre aux demandes clients et recycler nos intérimaires. 

CFE-CGC : Et autour de toi, quelle est la température ? 

Gabriel : Ils font tous du mieux qu’ils peuvent avec le peu de moyens qu’ils ont et malgré l’adversité, ils sont toujours aussi mobilisés mais ils ne peuvent pas faire de miracle. Les meilleures volontés vont s’user et certains partiront certainement… 

CFE-CGC : C’est démotivant ? 

Gabriel : Oui, voir comment on a laissé pendant si longtemps dégringoler l’activité il y a de quoi être écœuré ou en colère, ça dépend de ton tempérament. Le projet « Grand Paris » est un bel exemple d’occasion manquée à cause de de l’absence de politique BTP de l’entreprise. Au début de ce grand projet prometteur, Adecco a trouvé intelligent d’éclater la zone et les agences en sous-effectifs et sans coordination ont loupé le train. Ce chantier du siècle a démarré sans nous

On va droit dans le mur. La valse des dirigeants du CODIR, des DRH, des directeurs adjoints, opérationnels et autres sont, à mon avis, un très mauvais signal. Je sais nager mais je n’ai pas de gilet, ni de canot de sauvetage, j’ai tout donné à cette entreprise et maintenant je suis inquiet. 

CFE-CGC : Là, tu noircis peut-être un peu ? Il y a eu quand même des annonces intéressantes, notamment la création d’une zone spécialisée BTP, non ? 

Gabriel : Oui, c’est l’éternel serpent de mer qui refait surface puis plonge à nouveau, puis refait surface… Il y a eu des zones BTP qui performaient puis ont été supprimés, puis à nouveau créés et encore supprimés. On a tout cassé à plusieurs reprises et on nous a annoncé qu’on allait une fois de plus reconstruire. Les dirigeants changent et chacun croit redécouvrir l’eau tiède. C’est à la fois triste et inquiétant…  

CFE-CGC : Parle-moi de Biomag. La première fois que j’ai entendu ce nom, j’ai cru qu’il s’agissait d’un magazine de santé et de diététique. De quoi s’agit-il ? 

Gabriel : Biomag, c’est ce qui remplace « Osez » et c’est toujours la même obsession de qualifier les fichiers et d’affiner les potentiels. Ça fait des années que je mets à jour mes portefeuilles clients et prospects chaque année. Ça prend un temps fou. J’aurais dû travailler à l’INSEE (rires). Pendant ce temps-là, on ne fait pas notre travail. On en a assez d’expliquer que ces outils ne sont pas adaptés à notre secteur d’activité. Le BTP ce sont aussi des chantiers et comment veux-tu faire entrer dans les petites cases des chantiers qui par définition ont une existence provisoire

D’ailleurs on ne parle plus métier, ni même business mais seulement d’outils. Pendant ce temps-là des concurrents font juste leur job : terrain, recrutement, délégation… Impossible d’avoir avec les clients la proximité qu’il faut avoir dans le BTP. On est les technocrates de l’intérim. On va finir par racheter l’ENA ! (rires) 

CFE-CGC : Sur les moyens humains, tu parles de sous-effectifs, est-ce que tu sens une amélioration sur le sujet ? 

Gabriel : Non aucune. Pas d’autorisation d’embauche et de toute façon on a un mal fou à trouver des volontaires. Si tu prends l’exemple des alternants, on a parfois de vrais talents, des potentiels qu’on a formés et qu’on laisse filer faute d’autorisation de les retenir. Puis quelques mois après on cherche quelqu’un qu’on ne trouve pas et que de toute façon il faudra mettre des mois à former. C’est un gâchis épouvantable. Faudra peut-être un jour gérer les ressources humaines, non ? 

CFE-CGC : Oui Gabriel, tu prêches un convaincu. Pour le mot de la fin, as-tu un message à passer à notre direction que nous savons très accroc à notre blog ? 

Gabriel : Euh… je pense avoir dit l’essentiel. J’ai juste envie de leur crier que la situation est très sérieuse et qu’il est grand temps de redresser la barre, d’écouter la base, celle qui fait le job mais aussi les clients et les intérimaires. Sortez du château ou du mess des officiers, si on prend l’image de l’armée mexicaine, et venez découvrir notre métier, notre quotidien, nos contraintes, nos difficultés.

Pourquoi pas une opération « DA for one month » ? Chiche ?

11 Commentaires

  1. J’ai quitté mon poste de DA dans le BTP il y a presque 3 ans et le navire commençait déjà à couler. Aujourd’hui y a plus rien ou presque de ce que j’avais construis avec mes ancien’es équipes… Un gâchis de ressource, de talent et d’argent. Encore une fois courage à ceux qui reste parce qu’ ailleurs l’herbe est bien plus verte !

  2. Bravo tellement bien résumé. Cela résume tout ce qui se passe dans la majorité des agences. En effet les belles communications style 15000 cdi A en décembre, aqm et j’en passe.
    Comment ne pas être écœuré ?
    Des départs il y en aura de nombreux encore.
    Au fait dans l’ouest le DO n’est toujours pas nommé. Peut-être que Mr Viros attend un de ses nombreux amis de la sncf.

  3. La vie est un éternel recommencement. il faut tout reconstruire puisque nous avons été envoyés dans le mur. Quand de repense à la segmentation dans le btp je suis révolté par tant d’amateurisme !

  4. Quand est ce que l’entreprise va renforcer les équipes agences ?
    quand est ce que l’entreprise va arréter de piloter par des ETP et la finance ?
    il va falloir que l’entreprise donne des signes très positifs à la rentrée et donner des permanents agences

  5. 20 ans dans une belle agence BTP : un petit cocon d’agence, où on aimait se retrouver en fin de semaine autour d’un café, RENTABLE, performantes avec des plannings au budget… que la finance et l’ignorance sont venue briser….
    On nous a mis dans un Hub glacial, sans accès libre ( il faut sonner car nous sommes dans un immeuble), sans chaises pour accueillir ” nos gars”, sans café, sans rien en fait…. alors ils sont partis “nos gars” trouver ailleurs la chaleur humaine disparue de notre enseigne déshumanisée !
    Quand j’y pense ça me fait tellement mal au coeur, nos/mes gars me manquent et mon métier, autrefois humain et chaleureux, aussi.
    Et après les mêmes qui ont pris ces supers décisions viennent nous titiller sur la perte de part de marché…
    Bah c’est de votre faute en fait, et pour ça je ne vous dit pas merci. Quel gâchis, quelle tristesse…

  6. Un article pleins de vérités qui révèle de façon concrète l’envers du décor.
    Adecco svp revoyez votre mention de “leader mondial de la solution en ressources humaines”, et si le groupe lui-même avait besoin d’être accompagné sur ces solutions ? Bonne question.

    Bravo pour ce témoignage qui montre bien la cécité des dirigeants sur la réalité terrain et leur incompréhension des besoins réels de leurs collaborateurs qui eux se donnent au quotidien dans leur travail.

  7. Est ce qu’il y a encore un pilote dans l’avion ?
    est ce que la direction est si éloignée que cela pour connaitre le malaise ?
    attention aux résultats des prochaines PDM, M VIROS, vous allez vous faire des cheveux blancs, vivement votre prochain call pour voire votre humeur et réaction parce que ça se voit tellement pendant votre intervention, mdr !
    Maintenant c’est quoi la suite devant l’exode des permanents ? attention à la vague de 2022, celle là vous ne la voyez pas venir, mais je vous garantit que vous allez la prendre, autant que vos PDM si vous ne faites rien.
    DEMANDEZ A LA FINANCER DE STOPPER LEURS AGISSEMENTS !

  8. Quant une entreprise a réellement la volonté de récupérer des PDM ,elle met en place une stratégie et des moyens humains
    Quant on sait que le BTP est le plus gros marché ……on s’attend à une vraie réaction
    Et bien non !!! la stratégie c est la rentabilité, pas les PDM!!!
    Alors par pitié arrêtez de nous saouler avec les PDM et mettez les moyens , motivez et incentivez les collaborateurs !!!
    Et écoutez le réseau, ça vous donnera sans aucun doute quelque Idées ,voir une lueur de bon sens

  9. de toute façon, c’est TT/ETP !!! TT/ETP !! TT/ETP TT/ETP TT/ETP TT/ETP
    ET on nous dit : TT/ETP tant que tu n’y seras pas, on investira pas chez toi !!!
    oui sauf qu’à un moment donné, si on veut progresser il faut investir !!!
    virer moi la finance ! ça devient plus possible !!! ils se rendent compte de la pression qu’ils mettent : c’est juste pas possible !!! on est tenu par la finance et ces mecs là ne comprennent rien ! c’est hallucinant ! j’aimerai qu’ils viennent en agence §

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