Les salariés sont de plus en plus fatigués. Le Covid-19 et la guerre en Ukraine y sont pour quelque chose. Mais pour les entreprises, l’enjeu est d’adopter une posture plus globale, et d’agir le plus en amont possible, sur le plan de l’environnement professionnel.

Après trois années de crise sanitaire, mais aussi face à une situation géopolitique anxiogène et à la menace de récession économique, les salariés français sont de plus en plus fatigués. Selon le baromètre CoviPrev publié par Santé publique France en septembre 2022, plus de 71% des Français se plaignent de problèmes de sommeil, soit 10 points de plus qu’en 2020. Cette tendance va de pair avec une hausse de leur anxiété (26 %), qui a également augmenté de 10 points en deux ans.

« Les collaborateurs se sentent moins bien moralement, et de ce fait, ils sont plus fatigués. Les crises (sanitaires, géopolitiques, économiques) ont un impact sur l’état moral des individus, mais un impact décalé dans le temps de 3-4 ans. Nous ne percevons ainsi que les prémisses des conséquences de la pandémie« , observe Philippe Rodet, médecin urgentiste et spécialise de la gestion du stress. Selon lui, « le niveau de stress a augmenté de manière régulière » entre 2020 et 2022 avec le Covid-19. « Pendant un temps, cette crise nous a apporté de l’énergie, mais au fur et à mesure la fatigue s’est installée : le stress libère des hormones au départ, puis de moins en moins avec le temps », note-t-il.

« La plainte des salariés vis-à-vis de la fatigue est à la hausse. Elle s’explique  par le fait que nous sommes sortis récemment d’une pandémie qui a été perturbante pour tout le monde, avec des confinements, des périodes de chômage partiel et la généralisation du télétravail. S’en est suivi un retour à la normale pas tout à fait normal, puisque le travail à distance est désormais appelé à s’inscrire dans la durée », observe de son côté Philippe Zawieja, directeur d’AlterNégo et membre de l’Observatoire sur la santé et le mieux-être au travail (OSMET) de l’Université de Montréal. Outre le stress, l’adaptation à ces changements explique aussi, selon lui, ce sentiment partagé de fatigue.

Selon le chercheur, auteur d’une étude sur le sujet, l’introduction du télétravail, en particulier, a été un « facteur très perturbant » pour nombre de collaborateurs. « Il a entraîné une perte de lien social (avec les collègues et les supérieurs), une confusion dans les repères géographiques et spatiaux (le changement de lieu de travail, qui marque la fin du temps pour travailler, est moins prégnant), et une intensification des rythmes ». Puisque nous nous concentrons (a priori) mieux chez nous, les entreprises ont ainsi eu tendance à augmenter la charge de travail, et les salariés leur rythme productif ; au détriment de leur santé.

La fatigue des salariés, un enjeu important pour les entreprises

Pour les entreprises, les enjeux sont grands. « La plainte liée à la fatigue est à aborder avec beaucoup d’attention et de vigilance. Elle peut se traduire par une importante démotivation, par une réduction de la productivité du salarié concerné, par une baisse de son engagement, et aussi, souvent, par son départ, ou par un burn-out », indique Philippe Zawieja. La fatigue ressentie actuellement par les salariés est générale : elle est à la fois physique et mentale, et il est difficile de dissocier les deux. Comment la repérer chez un collaborateur ? Selon le chercheur, l’état de « fatigue générale » se manifeste par de la démotivation, mais surtout, par des modifications de comportement.

« C’est ce qui doit alerter les managers : la personne agit d’une façon différente de d’habitude. Elle se montre irritable, tendue, pessimiste. Elle s’en prend (moralement, voire physiquement) à ses collègues ou à ses clients. Elle commet de plus en plus de fautes d’inattention et d’erreurs (rendez-vous manqués, réunions mal préparées, non-respect des délais fixés…) », explique-t-il. La fatigue est aussi physique et se traduit par un sommeil perturbé, des migraines, ou encore des troubles musculo-squelettiques (TMS).

Pour Philippe Zawieja, tous ces signaux sont à appréhender avec sérieux, car la « fatigue véritable » n’est pas toujours exprimée par les mots : « Quelqu’un qui est vraiment fatigué ne le dit pas forcément, et aura même tendance à se mettre en retrait ». Pour les managers et les RH, le défi dans ce contexte est de faire preuve d’écoute et de bienveillance vis-à-vis du salarié qui se déclare fatigué, ou qui change de comportement. « Il faut lutter contre ses biais. Penser que le collaborateur est fainéant et paresseux n’amènera pas grand chose. Il faut avoir une discussion fouillée avec lui, dans la mesure où cela pourra conduire à interroger l’organisation du travail et le management« , explique le directeur d’AlterNégo. Le travail à distance ne facilite pas la communication, mais selon lui, il est possible d’organiser des feed-backs réguliers, notamment lors de temps d’échange informels en visio : « Demander à l’autre comment il va peut paraître comme une question insipide, mais cela peut être essentiel pour percevoir un certain nombre de signaux, plus ou moins faibles ».

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Une charge et un environnement de travail adaptés

Comment prévenir la fatigue au travail, en amont ? Sur le plan professionnel, Philippe Zawieja recommande de s’attaquer d’abord à la question de la charge de travail. « Elle doit être réaliste et adaptée à la personne, plutôt qu’à une fiche de poste théorique. Tous les collaborateurs n’ont pas le même tonus en fonction de leur âge, de leur état de santé, de leur situation familiale. Il faut donc adapter la charge au cas par cas« , indique-t-il. Le chercheur conseille aussi de se pencher sur l’environnement physique de travail : « il ne doit pas être lui-même fatiguant, en raison du bruit, de l’éclairage, de l’organisation de l’espace de travail (open space, bureau fermé), ou encore de la température ambiante ».

Concernant la fatigue physique, l’étude à laquelle Philippe Zawieja a participé au sein du réseau Global-Watch, recommande aussi d’agir pour résoudre les problématiques liées au contexte « extraprofessionnel ». Certains salariés sont en effet susceptibles de travailler d’une façon excessive, quitte à se coucher tard. Parmi les pistes d’action listées : l’adaptation des horaires de travail, ou le séquençage des tâches au « chronotype » des travailleurs ; la fermeture des locaux à partir d’une certaine heure le soir ; l’adoption d’une politique de « conciliation travail-famille » et favorable à la déconnexion ; et l’orientation vers des services d’aide à l’amélioration des habitudes de vie ou à la réduction des addictions.

« Plus globalement, il faut se lancer en toute bonne foi dans les campagnes de prévention de la fatigue et de la souffrance au travail. Sur le plan primaire, il s’agit d’éliminer toutes les sources de fatigue potentielle (les surcharges de travail et les types de management néfastes). Sur le plan secondaire, l’idée est d’agir sur les congés payés, ou sur des actions facilitatrices, comme la mise à disposition de services de conciergerie. Tout ce qui relève de la facilitation de la vie privée du salarié est le bienvenu », explique Philippe Zawieja.

La bienveillance, une arme contre la fatigue au travail

Reste la qualité de l’ambiance générale de travail. « L’environnement social doit être le moins stressant possible. La qualité des relations interpersonnelles ainsi que la liberté perçue jouent un rôle majeur sur la fatigue. Par exemple, un environnement caractérisé par du harcèlement, une faible perception d’autonomie, une forte demande émotionnelle ou l’insécurité de l’emploi peut exacerber la fatigue mentale », observe Philippe Zawieja. Selon lui, « tout passe par un bon dialogue social, où les choses peuvent être dites sans craintes, et par un management de qualité. Ceux qui encadrent des équipes doivent être capables de faire preuve de reconnaissance, de bienveillance et d’écoute. » Les RH gagneraient, dans ce sens, à développer les offres de formation en la matière, et à évaluer davantage (et plus régulièrement) les « qualités managériales des cadres ».

Pour Philippe Rodet, la lutte contre la fatigue générale ressentie par les salariés passe surtout par un management réellement bienveillant. « La charge de travail joue, évidemment, mais la fatigue qui nous intéresse est surtout morale. En cette période de quiet quitting et de grande démission, la bienveillance est la clé : elle réduit le stress et augmente l’envie du salarié. Les managers ont donc tout intérêt à se montrer attentionnés envers leurs collaborateurs », estime-t-il.  Le médecin urgentiste recommande enfin de s’inspirer des réseaux de « bienveilleurs » mis en place dans certaines entreprises. « Des collaborateurs, à tous niveaux hiérarchiques sont sélectionnés et formés pour identifier les signes avant-coureurs de détresse psychologique, de burn-out, de brown-out, de bore-out, de dépression. L’idée, c’est finalement de faire attention aux autres », conclut-il.

Source : Courrier cadres

 

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