Saisie sur la conformité de la loi réformant les retraites, et sur la demande d’un référendum d’initiative partagée, l’instance se prononcera le 14 avril. Une censure partielle voire totale est-elle possible ? Éléments de réponse.

Neuf sages pour deux décisions. Voici résumée la situation juridique sur le brûlant dossier social des retraites alors que les membres du Conseil constitutionnel, parmi lesquels son président, l’ancien Premier ministre Laurent Fabius, ou encore Alain Juppé, autre ancien locataire de Matignon, doivent annoncer le vendredi 14 avril deux décisions très attendues qui agitent bon nombre de constitutionnalistes.

QUELLES SONT LES PRÉROGATIVES DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ?
Mise en place par la Constitution de la Ve République en date du 4 octobre 1958, l’institution est le régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics. Juridiction aux compétences variées, le Conseil constitutionnel, composé de neuf personnalités nommées par le président de la République et les présidents des assemblées parlementaires (Assemblée nationale et Sénat), a notamment la charge du contrôle de conformité de la loi à la Constitution.

Lorsqu’il est saisi de la constitutionnalité d’une loi avant sa promulgation, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d’un mois ou de huit jours en cas d’urgence. Ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Elles ne sont susceptibles d’aucun recours.

QUELLES SONT LES SAISINES EN COURS SUR LES RETRAITES ?
Dans un communiqué en date du 29 mars, le Conseil constitutionnel indique :

  • avoir été saisi, le 21 mars par la Première ministre, de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFSR) pour 2023.
  • avoir été saisi, le 22 mars, de cette loi par un recours émanant de plus de soixante députés.
  • avoir été saisi de cette loi par un recours formé par plus de soixante sénateurs.

Les neuf sages de la rue de Montpensier rendront, le vendredi 14 avril, deux décisions :

  • La première sur la constitutionnalité du projet de loi adopté en force le 16 mars dernier au Parlement après le recours à l’article 49.3 par l’exécutif.

Le Conseil constitutionnel doit ici se prononcer sur la constitutionnalité du véhicule législatif utilisé. Le pouvoir exécutif a en effet fait passer le texte via une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale dont la mesure phare est le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Une procédure « inappropriée » pour les opposants au texte car il s’agit du rectificatif d’un projet budgétaire. Les parlementaires d’opposition dénoncent également des délais d’examen contraints par l’article 47-1 (qui limite le débat parlementaire à cinquante jours), estimant que la procédure « urgente » a été « détournée ». Autre grief exprimé : la présence dans le texte de dispositions telles que l’index senior, un « cavalier législatif », qui n’auraient pas leur place dans un texte budgétaire.

  • La seconde sur la recevabilité de la demande de référendum d’initiative partagée (RIP), impulsée par 250 parlementaires et soutenue par l’intersyndicale, proposant de soumettre à un référendum le fait que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans.

Entré en vigueur le 1er janvier 2015, le RIP permet à un cinquième des membres du Parlement (soit 185 sur 925 : 577 députés et 348 sénateurs), soutenu par un dixième du corps électoral (soit environ 4,8 millions de personnes), de soumettre une proposition de loi au référendum. Si l’organisation d’un RIP est jugée conforme, les citoyens ont 9 mois pour apporter leur soutien (par exemple via une plateforme numérique dédiée) à la proposition de loi.

QU’EN DISENT LES CONSTITUTIONNALISTES ?
Nombreux sont les constitutionalistes et les experts du droit à intervenir ces derniers jours dans les médias pour évaluer les scénarios possibles. Une censure partielle du texte est ainsi « probable », selon Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences à l’Université de Rouen, interrogée par l’AFP. « Des mesures telles que l’index senior ou l’expérimentation d’un CDI senior pourraient notamment être retoquées, avance-t-elle. Depuis sa création en 1958, le Conseil constitutionnel est particulièrement rigoriste : il censure inévitablement les dispositions qui sortent des domaines prévus par les textes. Dans ce cas, il faudra un second texte législatif pour éventuellement intégrer ces dispositifs. » En revanche, elle estime une censure totale du texte très improbable : « Il y a bien des mesures qui concernent le budget 2023 de la Sécurité sociale. Utiliser un projet de loi de financement n’est donc pas a priori inconstitutionnel. »

Le scénario d’une censure globale de la réforme est également jugé « peu probable » par le professeur de droit public Samy Benzina, signataire d’une tribune publiée sur le site internet du Monde. « La jurisprudence du Conseil constitutionnel, très réticent à déclarer inconstitutionnelle une loi dans son ensemble, n’augure pas d’une censure totale de la loi de financement rectificative, pas plus que du cœur de la réforme des retraites, analyse-t-il. Si on peut légitimement critiquer le choix du gouvernement de passer par cette procédure particulièrement inhabituelle, aucune disposition précise et explicite de la Constitution ou de la législation organique applicable ne lui interdit de recourir à un tel support législatif. »

Soulignant, dans une interview au Monde, que les membres du Conseil constitutionnel ont l’occasion « de jouer pleinement leur rôle de gardiens du bon fonctionnement de la procédure et du débat parlementaire », le constitutionnaliste et professeur de droit (Paris-I) Dominique Rousseau livre un avis plutôt tranché. « Il semble difficile que le Conseil constitutionnel ne censure pas la loi sur la réforme des retraites, estime-t-il. Personne ne peut contester que les débats ont été précipités à l’aide d’outils comme l’article 47.1, détourné de son usage habituel, que des amendements ont été déclarés irrecevables de manière très discutable, que les débats ont pour le moins manqué au principe constitutionnel de “clarté et de sincérité”. Sur ces seuls motifs, le Conseil peut censurer la loi sans se prononcer sur la conformité du passage de 62 à 64 ans, ce qui n’est pas son rôle. »

UN COURRIER INTERSYNDICAL TRANSMIS AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Toujours mobilisée pour obtenir le retrait pur et simple de la loi, l’intersyndicale, qui organisera ce jeudi une onzième journée nationale de manifestations, a interpelé le Conseil constitutionnel par un courrier commun transmis le 27 mars avec un argumentaire pour soutenir les saisines parlementaires contre le PLFRSS.

« À l’issue d’un parcours parlementaire chaotique, au cours duquel le gouvernement a utilisé tous les outils constitutionnels à sa disposition permettant de limiter l’exercice démocratique (débats contraints dans la durée par l’article 47-1, vote bloqué au Sénat par l’utilisation de l’article 44-3 et enfin, adoption sans vote par l’article 49-3), nous souhaitons vous soumettre des argumentaires explicitant les raisons pour lesquelles nous considérons que cette loi devrait être déclarée contraire à la Constitution, font valoir les organisations syndicales et de jeunesse. Nous ne doutons pas que vous y porterez toute l’attention nécessaire. Il en va de la confiance que nos concitoyens peuvent encore avoir dans les institutions de la République. »

Au niveau du calendrier, rappelons enfin que les leaders syndicaux, dont François Hommeril pour la CFE-CGC, seront reçus mercredi matin à Matignon par Élisabeth Borne.

Source : site confédéral CFE-CGC

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