Depuis l’instauration généralisée du télétravail en 2020, plusieurs cas d’accident supposé de travail se sont produits. Si le Code du travail a évolué, des flous juridiques persistent. Eclairage d’Olivier Bongrand, avocat spécialisé en Droit du travail.

En télétravail, le domicile devient le lieu de travail. Il est alors difficile pour la justice de trancher entre ce qui relève de l’accident domestique et ce qui s’avère être un véritable accident de travail. La décision récente de justice liée à l’accident de travail supposé d’une employée de la mairie de Paris – après une fracture de plusieurs orteils avec sa planche à repasser lors d’une formation en télétravail en 2021 – a relancé le débat. L’avocat, spécialisé en Droit du travail, Olivier Bongrand, nous aide à y voir plus clair.

Courrier Cadres – Est-ce que le Code du travail a évolué depuis la généralisation du télétravail ?

Olivier Bongrand – Lorsque la crise du Covid-19 a éclaté en France en mars 2020, le télétravail a été instauré dans la précipitation. Peu d’entreprises avaient un règlement intérieur, une charte ou encore une convention collective encadrant rigoureusement le recours au télétravail. Beaucoup d’accords entre parties, employeurs et employés, se sont formalisés au fil des semaines à travers des échanges verbaux ou par mails. Puis, le télétravail a fini par intégrer la section 4 du Code du travail (Articles L1222-9 à L1222-11). Le recours prolongé au télétravail a entraîné implicitement une modification des contrats. Aujourd’hui, il n’est pas possible pour l’employeur d’imposer aux salariés du télétravail, ni d’imposer un retour total en présentiel sauf accord spécifique.

CC – Où débute la responsabilité de l’employeur lorsque les salariés sont en télétravail ?

OB – D’une manière générale, l’employeur doit assurer la sécurité et la santé de ses salariés. Avec la démocratisation du télétravail ces dernières années, il doit réinterroger les risques potentiels liés à cette nouvelle situation. Afin de continuer à leur apporter un environnement confortable, il est supposé leur verser des indemnités pour qu’ils puissent s’équiper d’un matériel de travail qualitatif (bureau, chaise ou encore ordinateur adaptés). Cela évitera l’apparition de douleurs corporelles sur du long terme. L’employeur doit également être vigilant à certains phénomènes comme l’isolement social entraînant, par exemple, de possibles dépressions. Pour cela, il doit s’assurer que le manager reste en lien avec ses équipes, fédérer de temps à autre, ou encore mettre à disposition des psychologues du travail.

Il existe une législation spécifique pour les accidents de travail. Par définition, ils se déroulent sur le lieu et temps de travail. Mais lorsqu’on travaille chez soi, le domicile devient le lieu de travail, ce qui complexifie cette définition d’un point de vue légal. Lorsque un accident se produit à domicile, il n’est pas considéré comme un accident de travail s’il a eu lieu pendant un temps de pause – moment où le salarié peut vaquer librement à ses occupations personnelles -, ou bien si cet accident n’était pas inhérent à la mission du salarié, ou encore si une tâche inhabituelle a été exécutée sans demande explicite du manager. C’est exactement pareil pour un accident à l’extérieur si le salarié était en voiture ou allait faire une course.

CC – Comment doit réagir le salarié en cas d’accident en télétravail ?

OB – Le salarié en télétravail doit immédiatement déclarer l’accident auprès de son employeur, envoyer un formulaire à la CPAM, et aller chez le médecin pour tenter d’apporter des preuves. Prouver ce qu’il s’est passé est le plus difficile en télétravail, car personne n’était présent pour confirmer la version du salarié blessé. La Sécurité sociale va alors mener une enquête. Le délai d’instruction peut durer de 30 jours à 3 mois. Ensuite, la décision finale appartient au juge. Chaque situation comporte des détails qui peuvent faire basculer cette décision dans un sens ou dans l’autre. Il est très avantageux d’obtenir gain de cause, car cela permet d’obtenir de meilleures indemnités journalières dès le début de l’arrêt de travail jusqu’à la guérison, ou encore d’être protégé contre une procédure de licenciement de l’employeur.

Dans le cas de la blessure de l’employée de la mairie de Paris, le tribunal administratif de Paris n’a pas requalifié son accident en accident de travail, car « si cet accident s’est déroulé sur le temps du service de la requérante, les circonstances de cet accident ne peuvent être regardées comme constituant le prolongement normal ou relevant de l’exercice de ses fonctions », a-t-il précisé début février 2024.

Source : Courrier Cadres

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