On a beau se croire endurci voire blasé, il y a des situations qui forcent la compassion, même des plus impassibles des élus. L’indifférence n’est plus de mise lorsque l’on assiste à un enchainement d’échecs judiciaires cinglants, douloureux, forcément assortis de frustrations, d’aigreurs et de douloureuses atteintes à l’ego. Notre Direction des relations sociales vient en effet à nouveau d’essuyer un cuisant échec judiciaire infligé par une décision de la Cour de cassation, le 1er octobre dernier (arrêt n°907 F-D). Reprenons succinctement et calmement les faits.
Les élus du CSE Ouest constatant la multiplication des cas de souffrance au travail dans l’entité DACO avaient légitimement, comme cela relève de leur mandat et de leurs prérogatives, décidé de diligenter une expertise par un cabinet dûment habilité (le cabinet ADDHOC). L’ensemble des clignotants s’affichaient en rouge et notamment le constat de l’impossibilité pour un effectif plus que restreint d’absorber les pics de charge et la moindre absence supplémentaire. On imagine aisément que les conséquences d’une absence de gestion prévisionnelle des effectifs, de prise en compte sérieuse du turn-over et de la surcharge de travail, aboutissaient à une situation devenue insoutenable et, selon la formule consacrée, de nature à porter atteinte à la santé physique et mentale des salariés. Sans parler d’une non-qualité criante et de ses conséquences sur les équipes des agences et la clientèle.
Par un jugement du tribunal judiciaire de Nantes du 14 décembre 2023, le président estimait néanmoins cette délibération non justifiée et donnait raison à la direction Adecco.
Mais c’était, heureusement, sans compter sur l’instance judiciaire ultime. En effet, le jugement de la Cour de cassation du 1er octobre, tel que cité partiellement ci-dessous est en effet sans appel (vous nous pardonnerez cet inévitable jeu de mots) :
« PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 14 décembre 2023, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Nantes ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire ;
Condamne la société Adecco France aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Adecco France et Mme Colombiès et condamne la société Adecco France à payer au comité social et économique de l’établissement de la direction opérationnelle Ouest de la société Adecco France et à la société Addhoc conseil la somme globale de 3 000 euros ;(…) »
Ajoutons cet extrait de PV de l’arrêt de cassation qui vaut son pesant de râteaux :
« (…) En statuant ainsi, par des motifs inopérants alors que l’existence des pouvoirs d’enquête du comité social et économique en matière de santé et de sécurité au travail ou la mise en oeuvre, avant la délibération, d’une procédure d’alerte pour danger grave et imminent, ne sauraient en soi faire obstacle à l’exercice par le comité social et économique de ses prérogatives légales, le président du tribunal, à qui il appartenait de rechercher si les faits invoqués par le comité social et économique caractérisaient l’existence d’un risque grave, identifié et actuel au jour de la délibération ayant décidé du recours à une expertise pour risque grave, a violé le texte susvisé (…) »
Voici un président de tribunal rhabillé pour les quatre saisons !
Quels sont véritables objectifs et motivations de la direction des relations sociales pour justifier ces actions en justice ? Faire taire de trop tenaces et perspicaces élus ? Bien sûr, mais ne s’agit-il pas aussi d’une sorte de “jeu” malsain, au détriment des salariés qui osent ne pas être suffisamment corporate ? Ou d’une série d’expériences destinées à éprouver la science juridique de la direction qui entrave ? Ou peut-être un peu de tout ça ? S’agit-il plus simplement d’un moyen jugé plutôt facile sinon efficace d’éviter à l’entreprise de remplir ses obligations ?
C’est encore une “prune” de 3 000 euros pour l’entreprise dont on ne sait si son stakhanovisme des prétoires connaitra un jour une limite… Mais, là n’est pas l’essentiel : il s’agit surtout, à la fois d’une énième preuve des méfaits d’une instrumentalisation abusive de la justice et de ses possibilités de recours, en même temps que d’une victoire éclatante pour les élus du CSE Ouest, confortés dans leur mission et leur bon droit. La décision des élus du CSE Ouest de procéder à une expertise sur les conditions de travail dans l’entité DACO se trouve donc pleinement pleinement fondée en droit et réhabilitée.
Ils sont pas un peu masos des fois ? C’est quand ce fameux grand prix ? On a hâte de connaitre l’heureux gagnant ou plutôt l’heureuse gagnante !