
La moindre présence des femmes dans les fonctions dirigeantes ne peut entièrement s’expliquer par la discrimination. Nous le savions mais voici un article qui remet les pendules à l’heure et respecte les motivations profondes, parfois divergentes, des cadres des deux sexes. Non, nonobstant les visions un peu trop simplistes et les slogans, toutes les femmes cadres n’ont pas forcément la volonté d’intégrer des fonctions dirigeantes et d’en adopter le mode de vie, les inconvénients et les contraintes. (NDLR)
Dans une récente étude, l’Essec a interrogé des managers sur leur attrait pour une fonction de direction et leur image du pouvoir. Les femmes sont intéressées par la participation à une instance dirigeante, mais moins que les hommes. Parmi les explications : elles expriment plus de réticences face aux inconvénients de ces postes.
Est-ce que les femmes en entreprise ont une image positive du pouvoir et souhaitent y accéder ? C’est, entre autres, cette question que se sont posée Les Ateliers Entreprises Et Mixités, un programme de la grande école de commerce et de gestion de l’Essec. Avec plusieurs partenaires, l’école a mené une enquête auprès de managers sur leur ressenti à l’égard des postes de pouvoir exécutif.
Il en ressort que la majorité des femmes managers souhaite participer à une instance dirigeante (comité exécutif, comité de direction…), mais moins que les hommes : 64% contre 73%. Quant à l’idée de devenir n°1 (PDG ou direction générale) de son entreprise, elle séduit plus de la moitié des hommes, contre un peu moins de la moitié des femmes (58% versus 47%). C’est cohérent avec l’image du pouvoir : la majeure partie des femmes ont une image positive du pouvoir tel qu’il est exercé dans l’entreprise, mais là encore, moins que les hommes (58% pour 67%).
Interrogés sur les caractéristiques de ce dernier , les managers observent essentiellement des caractéristiques positives : la capacité à prendre des décisions pour près de la moitié d’entre eux, puis le sens des responsabilités, la vision stratégique sont les trois premiers éléments cités. Ce sont aussi des caractéristiques que les managers considèrent comme essentielles dans l’exercice du pouvoir, mais pas dans les mêmes proportions que ce qui s’observe de facto. La prise de décision est par exemple la troisième caractéristique la plus importante selon eux.
Des avantages pas assez mis en avant ?
Cependant, certaines caractéristiques sont considérées comme autant, voire plus essentielles, et sont observées dans une moindre proportion en entreprise. L’écoute est ainsi citée à la fois comme la qualité la plus importante pour un décideur et celle que les managers interrogés voudraient en priorité appliquer, mais n’arrive qu’en quatrième position de ce qu’ils observent. Il en va de même pour l’éthique et l’intégrité, l’humilité, et la priorité donnée au collectif. Les dimensions négatives de l’exercice du pouvoir sont beaucoup moins observées : rigidité, opacité, entre-soi…
Les femmes voient comme les hommes les avantages à accéder à un poste de direction : la capacité décisionnelle et la liberté d’action et d’organisation sont les deux premiers avantages cités par les femmes, un peu plus que par les hommes (respectivement 43% et 30% contre 39% et 27%). Inversement, le haut niveau de revenus et le statut social sont cités un peu plus par les hommes (respectivement 34%, en deuxième position, et 28% contre 30% et 25%).
Les managers estiment également que certains avantages liés à l’exercice du pouvoir ne sont pas suffisamment mis en avant. Il s’agit notamment de la possibilité d’avoir un impact sur le monde qui les entoure : création d’emploi et de valeur, impact et capacité à changer le monde, capacité d’influence à porter la parole hors les murs. Côté personnel, ils pensent qu’il faudrait plus valoriser l’opportunité d’apprendre et le plaisir. L’ensemble de ces avantages identifiés sont d’ailleurs également cités comme des leviers de motivation pour accéder à un poste de pouvoir. Mais les avantages les plus cités ne sont pas forcément les plus grands leviers de motivation. Ainsi, le niveau de revenus arrive en première position des leviers de motivation (38% chez les femmes et 42% chez les hommes) alors qu’il n’est que le deuxième avantage cité. La capacité décisionnelle est quant à elle le premier avantage cité mais seulement le troisième levier de motivation.
Des inconvénients qui pèsent plus sur la motivation des femmes
En revanche, si les deux genres ont conscience des inconvénients, cela provoque une plus forte réticence chez les femmes. Celles-ci sont plus nombreuses à citer presque chacun des inconvénients listés. Ainsi, quand 78% des femmes considèrent que le stress et la pression continues sont un inconvénient important, c’est le cas de seulement 71% des hommes. Il en va de même pour les décisions en conflit avec ses valeurs et son éthique (75% contre 67%), les horaires de travail étendus et le potentiel déséquilibre vie pro – vie perso (71% contre 64%), le risque d’être débarqué brusquement avec 67% contre 60%, la responsabilité globale (voir écrasante) pour 64% des femmes contre 53% des hommes, la peur d’échouer (62% contre 51% chez les hommes), le risque financier personnel (61% contre 57%) ; ou encore la défense en interne de choix stratégiques difficiles (58% contre 48%). En toute logique, elles sont donc plus nombreuses que les hommes à affirmer que ces différents inconvénients sont des motifs qui les font renoncer à briguer un poste de direction. Seuls quelques inconvénients, non cités parmi les trois premiers, feraient plus renoncer les hommes que les femmes à un poste de direction : le risque financier personnel, la solitude, la peur d’échouer, l’exposition publique, les inconvénients plus importants que les avantages, la prise de décision quotidienne.
L’étude note d’ailleurs que si les deux genres citent à plus de 50% l’écoute comme une caractéristique qu’ils veulent appliquer en tant que dirigeants, les hommes mettent plus en avant que les femmes trois caractéristiques principales qu’ils voudraient appliquer à un poste de manager : la prise de décision (38 contre 35 pour les femmes), l’humilité (31% versus 24%) et le leadership (29% contre 23%). Les femmes, elles, citent un grand nombre de caractéristiques plus fréquemment que les hommes : sens des responsabilités 40 contre 34 chez les hommes), la disponibilité constante (27% contre 17%), le courage dans les situations difficiles (25% contre 18%) la curiosité et la capacité à apprendre (20% contre 15%), la capacité à susciter l’innovation (18% contre 14%) ou la stabilité émotionnelle (17% contre 12%). Selon l’étude, « cette exigence portée par les femmes managers reflète une conscience du pouvoir qui dans certaines dimensions peuvent constituer des freins, notamment s’agissant de la disponibilité constante ».
Par ailleurs, “cette étude nous éclaire sur une réalité : les femmes ont une conscience forte d’une série d’avantages déterminants liés à l’accession aux postes exécutifs et seraient ainsi tout à fait en position d’y accéder Elles sont en revanche freinées dans cet élan par l’observation d’un exercice du pouvoir qui ne correspond pas suffisamment à ce qu’elles valorisent Elles pensent également que certains avantages ne sont pas suffisamment mis en avant par celles et ceux qui l’exercent Et enfin, s’ajoute à cela une vision qu’elles ont de l’exercice du pouvoir ternie par des impressions de stress, de déséquilibre et de tensions autour des valeurs et de l’éthique”, analyse dans le rapport Marie Christine Mahéas, coordinatrice des Ateliers Entreprise et Mixité.
Dans ce rapport, les Ateliers Entreprise et Mixité identifient plusieurs leviers pour rendre le pouvoir exécutif plus attractif auprès des femmes. D’abord, encourager les dirigeants à « démystifier les inconvénients les plus négativement perçus et faire évoluer les totems de l’exercice du pouvoir, le stress, la difficulté à maintenir un équilibre de vie, les tensions qui peuvent exister autour de l’éthique et des valeurs ». Les inciter également à plus mettre en application dans leur exercice du pouvoir certains éléments jugés importants mais pas suffisamment observés par les aspirants et aspirantes dirigeantes : l’écoute, la prise en compte de l’humain, l’éthique et l’intégrité. Il leur est également conseillé de plus mettre en avant les dimensions sociétales de l’exercice du pouvoir, la création d’emplois et de valeur pour la société, source de motivation pour les répondants. Dernier conseil : mieux accompagner les fonctions exécutives, avec du coaching en amont et durant l’exercice, pour lever certains freins et éviter l’isolement.
Source : Cadremploi