La CFE CGC défend tous les salariés cadres et non cadres, sans distinction, mais il est bien connu qu’à l’origine il s’agit du syndicat catégoriel des cadres et, à ce titre, le mal-être persistant des Directeurs de secteur soulève de sérieuses questions que l’on ne peut éluder et qui nous concernent tout particulièrement.
Premier sujet d’inquiétude bien compréhensible : leur avenir. De près de 120 il y a quelques années seulement, leur nombre se limite aujourd’hui à environ 45. Quand on tient une fonction dont les effectifs ont fondu des deux tiers en moins de cinq années, il est parfaitement légitime de se poser quelques questions. Et les Directeurs de secteur s’en posent, croyez-nous.
Cette diminution des deux tiers de leur effectif a forcément et lourdement impacté le métier lui-même et il est bien loin le temps où le slogan « small is beautiful » faisait florès, le temps où la dimension réduite des agences, des secteurs et des régions s’imposait comme gage incontournable de la performance et notamment de la pénétration commerciale. Aujourd’hui, réduction des coûts oblige, ce serait plutôt «enormous is beautiful » tant les régions, secteurs et agences ont pris de l’embonpoint sous la contrainte de l’impitoyable dictat de productivité. Moins de sites, moins de salariés, moins de frais, moins de tout pour générer plus de résultats comme l’impose la dictature de fer de l’actionnariat.
Nous voici d’ailleurs dans le vif du sujet. Quel peut être l’action objective d’un Directeur de secteur encadrant une vingtaine d’agences ? Si l’on excepte les journées de travail administratif et de téléphone au bureau, sans parler du flux incessant de la messagerie, les réunions, les formations, les déplacements, les jours de réduction du temps de travail, les congés et j’en passe, que reste-t-il comme temps de face-à-face avec les équipes ? Sans parler de la surcharge administrative qui les éloigne de plus en plus de leurs collaborateurs. Rapports en tous genres, analyse des chiffres, téléphone ininterrompu… le Directeur de secteur vit de plus en plus péniblement le fait de ne pouvoir réellement faire son métier, tout simplement.
 
Pour un secteur de vingt agences, par exemple, combien de journée(s) par an le Directeur de secteur peut-il encore passer dans chacune d’elle ? Une, deux, trois ? S’agit-il encore d’un management de proximité ou en sont-ils trop souvent réduits à un « management Excel-Outlook », comme ils le disent eux-mêmes ? La question mérite d’être posée.
Véritable homme-orchestre, le Directeur de secteur doit à la fois être gestionnaire, animateur, commercial et relayer les consignes de la direction, consignes auxquelles il adhère plus ou moins, plutôt moins d’ailleurs ces dernières années. Mais pas trop peu non plus, sinon lui sera rapidement proposée l’alternative fatale : « Se soumettre ou se démettre ». Nous avons récemment eu à conseiller un Directeur de secteur qui avait choisi la deuxième solution, refusant énergiquement de continuer à « chercher de la productivité » dans des équipes déjà exsangues. Il ne put régler son conflit de valeurs qu’en quittant l’entreprise alors qu’il n’avait aucune autre perspective immédiate, aucun “plan B” comme on dit.
Au contact du réel les Directeurs de secteur sont témoins « privilégiés » de l’accablante surcharge de travail et de la multiplication des problèmes de santé physiques et psychiques qui s’ensuivent pour les collaborateurs. Mais le tabou est puissant et pas question de l’enfreindre. C’est la ligne blanche à ne pas dépasser, l’interdit majeur. L’omerta doit être sans faille, sinon gare ! Quand on voit une équipe en souffrance, submergée, dont les collaborateurs se portent visiblement de moins en moins bien et qu’il faut encore leur refuser un CDD au nom de la productivité, le choix est simple : on se soumet en essayant d’oublier ne serait-ce qu’un instant ses valeurs et préventions ou on se démet et on quitte l’entreprise. Dilemme ô combien difficile.  
L’immense majorité des Directeurs de secteur sont investis et intègres et par conséquent vivent très mal les tensions que génèrent leurs prises de position qui les rendent un peu boucs émissaires d’une situation qu’eux-mêmes subissent de plein fouet. Coincé entre une équipe agence qui ne comprend pas toujours ses prises de position et un directeur de région qui ne juge que sur chiffres et refuse souvent toute autre explication, lui-même soumis à des pressions venues de plus haut, le Directeur de secteur se trouve dans la position délicate, la position de charnière que constitue l’encadrement intermédiaire.
Il vit difficilement ce qu’il qualifie de manque d’objectivité de son directeur de région qui lui interdit, par exemple, d’augmenter ou de promouvoir untel et au contraire favorise tel autre pourtant notoirement moins compétent. Devant cet arbitraire vécu tantôt comme injustice, tantôt comme incohérence, le Directeur de secteur souffre souvent en silence, parfois en serrant les poings ou d’autres fois frappé d’une immense lassitude.
Trop souvent le Directeur de région impose à ses Directeurs de secteur un mode de management pour lequel ils ne se sentent pas taillés : management par la peur, le stress, les pressions excessives, les sanctions disciplinaires, la peur du lendemain. Tout le monde n’est pas fait pour cela et une large majorité de Directeurs de secteur n’envisageaient pas ainsi leur fonction (« Si j’avais su… »). Tout cela finit par générer une perte de sens et un doute sur les objectifs de l’entreprise. « Je ne m’y retrouve plus », « Je ne sais pas où on va », « Je ne partage plus les orientations de l’entreprise » sont les réflexions les plus entendues.
Aujourd’hui à la CFE CGC, nous sommes sans doute les seuls à entendre et à comprendre ces difficultés et cette souffrance. Jamais autant de Directeurs de secteur ne nous ont autant appelé que ces derniers mois. Il urge que la direction de l’entreprise entende véritablement ce mal-être, presque un appel au secours, qui se généralise et mette rapidement en œuvre un plan d’urgence d’autant que l’on sait maintenant que la deuxième vague d’enquête Great Place To Work s’est révélée encore plus calamiteuse que la première.

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