Passionnante analyse relevée sur le site de nos amis de la CFE-CGC Pimckie. Rien de nouveau sous le soleil. Un bric-à-brac de gadgets, aussitôt obsolètes que recyclés, encombrent bien souvent la fonction Ressources humaines des grandes entreprises. Je pense notamment à la notion d’entreprise libérée. J’ai eu l’occasion, il y a environ trois mois, d’assister à une conférence sur l’entreprise libérée donnée par un cadre de chez… Décathlon. Amusant, non ? A fond la forme, peut-être, mais libérée, oubliez ! Le jeune cadre dynamique prétendait fixer lui-même son salaire et expliquait sans sourciller n’avoir ni horaires, ni contraintes d’aucune sorte, ni hiérarchique dont il prétendait même ignorer le nom. Ayant pris la parole, je lui suggérai de simplement s’absenter sans motif deux jours de son poste de travail pour obtenir très rapidement nom, nouvelles et œuvres dudit hiérarchique. J’avoue avoir un peu plombé l’ambiance. On ne se refait pas…
Faute
de pouvoir – ou de vouloir – agir en profondeur, certaines directions
se contentent de recycler des concepts à la mode. Censés motiver les
salariés, ces écrans de fumée finissent au contraire par accentuer le
divorce entre l’entreprise et eux.

«D comme déconnecté, R comme brasser de l’air, H comme la hache de guerre, DRH…» Dans un single sorti en 2014, la chanteuse Anaïs ne se montre pas tendre envers la fonction des ressources humaines. Un sentiment partagé par une majorité de salariés, qui enfoncent ce service mal aimé au fil des enquêtes : selon une étude récente de l’ADP Research Institute, seuls 6% d’entre eux trouvent que les RH savent écouter et 5% qu’elles sont compétentes dans le recrutement. Sans parler des 15% qui mettent en doute l’exactitude du bulletin de paie qu’elles leur délivrent.

DES GADGETS POUR FAIRE COOL ET FUN COMME GOOGLE. Pourquoi
tailler un tel costume à nos services RH ? Certes, la crise sévit et,
en tant que bras armé de la direction, ils attirent, plus que d’autres,
l’animosité des collaborateurs. Mais la faute incombe aussi à la
maladresse (ou à l’hypocrisie assumée) de certaines entreprises qui
tentent de redorer leur blason cabossé en déployant des dispositifs
boiteux et clinquants inspirés des dernières modes managériales.

De la même
façon que certaines sociétés s’engagent dans des actions écologiques
avec beaucoup plus d’opportunisme que de réelle conviction (on appelle
cela le «greenwashing» ou écoblanchiment), d’autres sont devenues
expertes dans le «RH washing». Le principe est identique en ceci qu’il
s’agit de se racheter une conduite aux yeux du public (les salariés de
l’entreprise dans le cas du RH washing).

Un baby-foot
placé dans un hall d’accueil suffit-il à rendre une boîte fun et cool ?
Absolument pas ! Si des icônes de l’économie numérique telles que
Google et Facebook en ont bien un, elles ont assorti cet outil d’une
kyrielle d’autres mesures qui contribuent à leur sex-appeal. Mais
lorsque la culture de l’entreprise ne s’y prête pas et qu’aucune autre
action n’est engagée en profondeur, votre baby-foot rutilant n’est alors
ni plus ni moins que de la poudre aux yeux, un symbole marketing à la
vocation de cache-misère.

DES JOURNÉES DU HANDICAP QUI N’ENGAGENT À RIEN. Cette
tendance à suivre aveuglément les dernières modes est problématique,
car copier-coller des pratiques pour les appliquer à des contextes
souvent très disparates peut mener tout droit au désastre. Des
chercheurs américains ont ainsi analysé dans leurs travaux les
caractéristiques de ces tocades à la sauce RH : contagieuses, perçues
comme innovantes, rationnelles et fonctionnelles, elles promettent une
meilleure performance. D’où leur adoption par nombre d’entreprises.

Des
experts mettent en garde contre ces effets de mode. Car si la notion de
mode revêt un caractère très positif dans le monde du luxe, elle se
révèle plus ambivalente dans l’univers du management. Fugace et
évanescente, elle peut retomber comme un soufflé, créant une déception à
la mesure de l’enthousiasme qu’elle a suscité…

Au départ,
pourtant, les intentions sont louables. Dans le cas du baby-foot,
l’objectif est d’insuffler un regain d’énergie à des équipes
désengagées, de transformer le lieu de travail en un espace de
convivialité. Les journées du handicap, que nombre d’entreprises
organisent, sont un autre exemple d’événements qui ont tout d’une bonne
idée, mais dont l’impact réel est discutable s’ils ne s’inscrivent pas
dans une démarche globale mûrement réfléchie. Bien joli de clamer qu’on
est sensible au problème, de distribuer flyers, tee-shirts, casquettes
et autres goodies déculpabilisants, mais qu’y a-t-il de concret
derrière cette posture ? Repose-t-elle sur une politique sociale
cohérente, en vigueur les autres jours de l’année ?

Même si
elles semblent cousues de fil blanc, ces opérations trompent souvent
leur monde. Pour une raison simple : elles reposent sur un biais
cognitif connu en psychosociologie sous le nom d’effet de halo (ou de
contamination), mis en évidence dans les années 1920 par Edward
Thorndike et démontré par Solomon Asch en 1946. Selon cette théorie, un
individu émet un jugement global positif (sur une personne, une
entreprise ou une marque) à partir de l’avis qu’il s’est fait sur une
seule de ses caractéristiques. Et c’est bien sur cet effet de halo que
comptent certaines directions peu scrupuleuses pour donner une bonne
image de leur entreprise.

DES RÉFÉRENDUMS QUI DONNENT L’ILLUSION DE LA PARTICIPATION. Le
référendum en entreprise fait également partie des dispositifs
attrape-nigauds. Smart l’a utilisé en fin d’année dernière pour valider
auprès de ses salariés un passage aux trente-neuf heures alors que les
syndicats s’opposaient à cette mesure. Comme l’ont montré les travaux de
John Gastil et de Peter Levine, le référendum participe d’une forme de
démocratie délibérative (au-delà même de la notion de démocratie
participative) et permet effectivement aux salariés de s’exprimer
directement.

Mais le
référendum constitue aussi un outil de manipulation. Pratique pour
court-circuiter les syndicats, il prétend bien souvent ouvrir des
espaces participatifs. L’illusion est trompeuse : organiser un
référendum ne supprime pas les décisions topdown et ne propulse pas automatiquement une société dans l’univers de la démocratie participative. Loin de là.

Il ne
s’agit pas pour autant de dénigrer toutes les pratiques RH innovantes au
motif qu’elles sont dans l’air du temps. Quand elles sont bien pensées
et adaptées à la culture de l’entreprise, elles sont très efficaces.
Chez Michel & Augustin par exemple, le baby-foot se justifie par la
préexistence d’un environnement particulier où les prises de décision ne
sont pas unilatérales (même le stagiaire a voix au chapitre).

De même
chez Octo Technology (conseil), le management privilégie l’agilité et
multiplie les mesures participatives. Un système de gestion transparent
permet à n’importe quel collaborateur de consulter les notes de frais du
PDG, les congés posés, etc., tandis qu’un dispositif baptisé «open
mercato» lui offre la possibilité de changer d’équipe selon ses
affinités avec le thème de travail. Et il suffit qu’au moins quatre
collègues se regroupent autour d’un sujet qui les intéresse (en lien
avec l’activité de l’entreprise, évidemment) pour former une nouvelle
«tribu» autour de laquelle d’autres pourront venir s’agréger…

S’il
semble difficile d’empêcher les DRH de suivre aveuglément ces phénomènes
de mode, on pourrait les encourager à en faire meilleur usage en les
amenant à se poser deux questions clés. Primo : est-ce que cela a du
sens chez nous ? Secundo : comment adapter l’idée à la taille de mon
entreprise, à son activité et à ses collaborateurs ? Des interrogations
simples qui permettraient à chaque partie de tirer son épingle du jeu et
de progresser en termes de lien et de performance.

«L’ENTREPRISE LIBÉRÉE» ? : VIE ET MORT D’UNE TOCADE

Le concept
de l’«entreprise libérée» a connu un succès planétaire. Présentée en
2012 dans l’ouvrage d’Isaac Getz et Brian M. Carney, la méthode
s’est propagée dans les entreprises et chez les consultants qui n’ont
longtemps juré que par cette «nouvelle» organisation du travail. Mais
comme toutes les modes, le modèle tant vanté s’essouffle aujourd’hui.
Dans leur ouvrage Manageor, les deux auteurs retracent la naissance et
la fin de ce concept, en huit étapes.

1. Naissance du concept. L’idée
de génie nous vient souvent d’un cabinet de conseil ou d’une grande
école. Le concept reprend des notions passées et les «relooke» pour leur
donner un air de modernité. Ainsi, pour promouvoir son entreprise
libérée, Isaac Getz, professeur de leadership et d’innovation à l’ESCP
Europe, a remis au goût du jour des idées pas si neuves que cela : en
finir avec le management, la hiérarchie, la bureaucratie, les procédures
de contrôle et les horaires, laisser les salariés libres d’entreprendre
les actions qu’ils estiment bonnes pour l’entreprise, etc.

2. Imprimatur Yankee. En
adoptant le concept, un grand groupe américain évangélise le marché.
Pour l’entreprise libérée, c’est Gore, le fabricant et inventeur du
fameux Gore-Tex, qui a joué ce rôle.

3. Diffusion en Europe. Peu
à peu, la méthode va être adoptée en Europe par des entreprises leaders
ou innovantes comme Favi, Poult, HCL Technologies, Chrono Flex, etc.

4. Pression des experts et des médias. Des
articles de presse lancent le buzz. Bientôt, les consultants
recommandent avec exaltation la nouvelle organisation miracle…

5. Stigmatisation des méthodes du passé. Avant,
c’était mal. Les vieilles méthodes issues d’un monde tayloriste révolu
ne sont plus pertinentes, la hiérarchie ankylose l’activité des
entreprises, les managers et les procédures brident la créativité, la
bureaucratie ralentit le développement…

6. Expression des premiers doutes. Il
faut parfois attendre longtemps avant que des travaux critiques, fondés
sur la vérification empirique et sur la mise en évidence des échecs et
des effets pervers, ne viennent questionner la méthode. Le collectif des
Mécréants a ainsi publié une compilation des défauts de l’entreprise
libérée. Il critique un modèle reposant sur l’esprit de système et sur
l’absence de débat (présentation positive caricaturale et systématique).
Le mépris des managers et des ressources humaines ne suffit pas à
évacuer le besoin d’encadrement (pour réguler des conflits, par
exemple).

7. Abandon progressif et dénigrement de la méthode. Les
grands cabinets de conseil et les entreprises (aux Etats-Unis puis en
Europe) abandonnent le concept et le critiquent d’autant plus vertement
qu’ils l’ont porté aux nues et vendu pendant des années ! En général, la
commercialisation se poursuit à la marge dans les autres parties du
monde.

8. Extinction. Une nouvelle mode chasse la précédente… et le cycle redémarre !

1 COMMENTAIRE

  1. Difficile de ne pas rebondir sur le cas de DECATHLON. Je te rejoins-redacteur de cet article. J'ai un ami que nous prenomons dans notre cerle amical: Jybé.
    Jybé a eu la chance de rentrer dans cette charmante entreprise qui se dit pleine de bon sens et surtout sportive… sportive pour en sortir les gens surtout. Après des 7h du matin, 19h30 20h, un investissement dans les actions sportives locales et j'en passe, ce pauvre Jybé n'a malheureusement pas fait l'affaire… normal le rayon qu'il avait en charge a été regroupé avec un autre univers.
    Je ne parle bien évidemment pas de la discrimination sur l'âge même si on voit apparaître des personnes de plus de 40 ans sur quelques magasins et encore moins des hobbies qu'il faut avoir pour intégrer même pour un contrat étudiant de fin de semaine la grande enseigne de sport. Mieux vaut avoir une allure de sportif à l'entretien, sinon recalé!

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