
Messages secs, formules agressives ou absence de réponse : les incivilités numériques se banalisent. Souvent involontaires, elles abîment les relations au travail, nuisent à la santé mentale et ternissent l’ambiance d’équipe.
La journée d’un travailleur de bureau est assez simple à concevoir : il se situe au cœur de flux informationnels en tant qu’émetteur ou récepteur. Si les interactions orales, physiques sont encore importantes, les flux numériques sont prégnants. Mails, notifications, conversations instantanées, sms ou visioconférences constituent une part importante des échanges quotidiens. Le travail hybride, mêlant présence sur le lieu de travail et télétravail, invite à l’utilisation intense de ces multiples canaux.
Les avantages de ces outils sont connus ; largement axés sur l’intégration rapide dans des réseaux, ils facilitent le travail. Les inconvénients sont également connus, axés principalement autour de l’infobésité, néologisme définissant la surcharge informationnelle nuisible au travail. Pourtant, un angle mort de la vie des travailleurs tertiaires existe : l’incivilité numérique. Il s’agit là de comportements fréquents se définissant par un manque de courtoisie et de politesse heurtant le récepteur d’une information. Et autant dire que dans ce monde du tout numérique, les situations ne sont pas rares.
Incivilités passives et actives
Il existe de l’incivilité numérique dite active, laquelle se manifeste de plusieurs manières. Les formules agressives bien sûr, mais aussi des éléments écrits en majuscule ou en gras dans un mail, d’injonctifs ‘‘sauf erreur de ma part’’ et ‘‘tu n’es pas sans savoir que’’ ou un bonjour oublié constituent des éléments gênants. Concernant l’incivilité passive, l’absence de réponse ou d’accusé-réception d’un message peut être mal vécue, comme l’exclusion de certaines ‘‘boucles’’ informationnelles, surtout si cela devient fréquent voire habituel. Sans surprise, il semble que les filtres de la bienséance soient parfois minces voire inexistants derrière un écran, à plus forte raison avec l’asynchronie des échanges.
Intentionnelle ou non, verticale ou horizontale, l’incivilité numérique est nuisible aux organisations et il semble admis que le travail à distance accentue le phénomène. Accumulés, ces comportements finissent par construire des dynamiques collectives négatives, des ambiances toxiques avec de lourdes conséquences.
Colère, frustration, stress, émotions négatives arrivent au premier rang, souvent par réaction à l’incivilité. Mais avec la multiplication des situations arrivent potentiellement la démotivation, l’insatisfaction, le désengagement, l’épuisement émotionnel, le manque de performance avec même de possibles arrêts de travail ou départs de l’organisation. Une étude a soulevé le fait que les réponses à un courriel malpoli font souvent l’objet de réponses malpolies, et ainsi de suite.
Des conséquences lourdes pour les personnes et les organisations
Plusieurs facteurs accentuent l’incivilité numérique, à commencer par la charge de travail et le stress. Naturellement, la forte utilisation des outils numériques augmente les situations d’incivilité si bien que cela questionne le télétravail et la surcharge cognitive associée L’asymétrie entre l’émission d’un message et sa réception peut d’ailleurs donner lieu à des surinterprétations.
Lorsque l’incivilité se fait dans un échange hiérarchique, les conséquences semblent être plus lourdes puisque la réaction du subordonné est plus compliquée, le stress est plus fort. Les démissions sont d’ailleurs plus fréquentes avec de l’incivilité verticale. L’incivilité numérique est alors liée à des enjeux RH non négligeables. Des chercheurs ont constaté une relation positive entre l’incivilité numérique et l’absentéisme chez des travailleurs américains. D’autres ont démontré expérimentalement que l’incivilité numérique provoquait même des augmentations plus importantes de la fréquence cardiaque que l’incivilité en face-à-face, suggérant donc une conséquence physiologique.
Les répercussions de certaines de ces situations professionnelles sur la vie privée soulèvent en outre des questions dans le contexte du travail hybride ou s’entremêlent vie privée et vie professionnelle. Les frontières entre les espaces numériques professionnel et personnel devenant de plus en plus floues, l’impact de l’incivilité numérique s’étend au-delà des relations professionnelles pour affecter la santé mentale et la qualité de vie en général.
Alors que faire ?
A l’évidence, l’incivilité numérique peut potentiellement concerner tous les travailleurs, d’autant que finalement, la même personne peut être réceptrice et émettrice. La charge de travail, le stress, la surcharge d’informations ne sont pas nécessairement propices à des échanges toujours adroits et bienséants.
Pour autant, éviter les incivilités numériques n’est pas très compliqué et à l’heure où la bienveillance est au cœur de nombreux discours dans les entreprises, surveiller le contenu de ses messages, éviter les formules préfabriquées maladroites ou préférer un échange oral direct plutôt qu’un échange indirect voire asynchrone qui pourra être mal interprété sont des solutions de bon sens, à plus forte raison lorsque le climat organisationnel n’est pas idéal ou qu’existent des liens hiérarchiques. Le risque final est de détériorer non seulement le travail par une ambiance dégradée, mais aussi la réputation d’une entreprise qui aurait laissé l’incivilité s’installer dans sa culture.
« La politesse coûte peu et achète tout », disait Montaigne.
Source : Courrier Cadres