Intéressante analyse, relevée sur WK-CE, sur les impacts de l’intelligence artificielle dans le monde du travail :
 
Comment le Droit du travail est-il impacté par
l’intelligence artificielle ? Quels concepts faut-il mobiliser pour
régler les questions ?
Véhicule autonome, conseiller bancaire automatisé ou chatbot,
assistant médical qui concourt au suivi de la santé, au diagnostic et
aux propositions thérapeutiques dans le domaine médical etc., les
progrès annoncés grâce au développement de l’intelligence artificielle
(entendue comme l’ensemble des technologies visant à automatiser des
tâches cognitives traditionnellement effectuées par l’humain) vont être
significatifs. Si la révolution technologique est déjà amorcée depuis
plusieurs années, elle risque de s’accélérer et de conduire à
l’introduction sur le marché de nouveaux outils technologiques, machines
ou robots qui vont impacter les emplois et les conditions de travail et
de ce fait obliger les entreprises, les salariés et la société dans son
ensemble à d’abord anticiper ces évolutions et puis à s’adapter.

Le
développement des outils d’intelligence artificielle est au cœur des
réflexions et préoccupations actuelles tant d’ailleurs au niveau
européen que national, tous les acteurs et les pouvoirs publics
eux-mêmes ayant perçu et compris que les évolutions technologiques à
venir, dans de nombreux secteurs d’activité, risquent de bouleverser le
marché du travail. C’est ainsi que les études sur l’impact de
l’intelligence artificielle sur le monde du travail se multiplient. Le
Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) a établi en 2017 trois
rapports pour apprécier l’exposition des emplois salariés face à
l’automatisation et aux avancées technologiques et analyser l’impact sur
le travail et les compétences. Il en ressort que 10 % des emplois
devraient présenter « de grandes vulnérabilités dans un contexte
d’automatisation et que 50 % devraient voir leur contenu transformé de
manière significative à l’horizon d’une quinzaine d’années ». Plus
récemment, la ministre du Travail et le secrétaire d’État chargé du
Numérique ont confié à France Stratégie la mission d’examiner les
impacts de l’intelligence artificielle sur les transformations du marché
du travail. De son côté, le Premier ministre a confié au député Cédric
Villani une mission d’information sur la stratégie française et
européenne en intelligence artificielle. Les deux rapports ont été
rendus publics fin mars et confirment que la majorité des emplois va
être très largement transformée et qu’il faut anticiper les impacts sur
le travail et s’y préparer.

Suppression des emplois, modification
du contenu des emplois, création de nouveaux emplois nécessitant des
compétences plus élevées, ces évolutions à venir conduisent à
s’interroger sur les conséquences qui en résultent en l’état de la
législation actuelle.


Suppression des emplois et licenciements pour motif économique

Si le développement de l’intelligence artificielle doit aboutir à
la suppression de certains emplois (par exemple, suppression à terme de
l’emploi de chauffeur dans le secteur des transports si le véhicule
autonome venait à être mis sur le marché), les entreprises risquent
d’être de plus en plus contraintes d’envisager des licenciements.
L’introduction
de ces nouvelles technologies pourrait à cet égard s’analyser comme des
mutations technologiques, lesquelles constituent un motif de
licenciement autonome ayant fait l’objet pour l’heure de très peu de
jurisprudence, qui plus est parfois contradictoire.
Ainsi, la Cour de
cassation a jugé justifié le licenciement pour motif économique d’une
salariée dont l’emploi avait été supprimé en raison du changement des
conditions d’exploitation du service informatique lié à l’acquisition
d’un nouveau matériel et de nouveaux logiciels (Cass. soc., 14 nov.
2001, n° 99-44.686). Dans un autre arrêt, la Cour de cassation a
cependant confirmé l’arrêt d’une Cour d’appel ayant jugé injustifié un
licenciement pour motif économique, estimant que le simple changement de
prologiciel ou logiciel ne saurait constituer une innovation
technologique (Cass. soc., 13 mai 2003, n° 00-46.766).

Si le motif économique tiré des mutations technologiques est
amené à se développer, et en fonction de la technologie dont il sera
question et des bouleversements qu’elle impliquera dans le système de
production, on ne peut pas exclure que la question de savoir si telle ou
telle nouvelle technologie constitue bien une mutation technologique,
justifiant les licenciements économiques prononcés pour ce motif, va se
poser de façon un peu plus insistante dans les prochaines années.
Par
ailleurs, on peut craindre que les entreprises qui ne pourraient pas
s’adapter, notamment en raison du coût des investissements qu’implique
l’utilisation de nouvelles technologies dans leur secteur d’activité,
soient contraintes pour leur part de faire face à des difficultés
économiques ou à la nécessité de se réorganiser pour sauvegarder leur
compétitivité, conduisant là aussi à des licenciements pour motif
économique.

Modification du contenu des emplois : changement des conditions de travail ou modification du contrat ?

Un actif sur deux devrait voir à l’avenir le contenu de son
emploi plus ou moins transformé. Si des tâches sont susceptibles d’être
retirées aux salariés car elles seront dorénavant automatisées, d’autres
tâches, souvent plus complexes et nécessitant toujours une intervention
humaine, risquent quant à elles de leur être confiées. La question se
posera alors de savoir dans quelle mesure l’employeur peut imposer à ses
salariés l’évolution de leurs tâches.

En l’état de la
jurisprudence, l’évolution des tâches d’un salarié est appréhendée sous
le prisme de deux notions, d’une part, « le changement des conditions de
travail » qui relève du pouvoir de direction de l’employeur, et d’autre
part, « la modification du contrat de travail » qui exige l’accord du
salarié. L’employeur peut, dans le cadre de son pouvoir de direction,
parfaitement affecter le salarié à de nouvelles tâches à condition
qu’elles correspondent aux qualifications professionnelles du salarié et
n’entraînent pas une réduction de son niveau de responsabilité. Il ne
s’agit pas alors d’une modification du contrat de travail mais d’un
simple changement des conditions de travail que l’employeur peut décider
unilatéralement (Cass. soc., 29 nov. 2007, n° 06-43.979). Lorsque le
salarié refuse de se soumettre au simple changement de ses conditions de
travail, l’employeur est autorisé à le sanctionner en engageant, si
besoin, une procédure de licenciement pour motif personnel (Cass. soc.,
25 oct. 1995, n° 92-40.363). Au contraire, dès lors que la qualification
ou les responsabilités sont modifiées, le salarié est en droit de
refuser la modification de son contrat de travail. De plus, le seul
refus d’un salarié d’accepter une modification de son contrat de travail
ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Les juges contrôlent alors si la nécessité pour l’employeur de procéder à
la modification du contrat est justifiée (Cass. soc., 28 janv. 2005, n°
03-40.639).

L’évolution des tâches d’un salarié pourrait donc
soulever d’intenses débats car il faudra apprécier dans chaque
situation, pour déterminer le régime juridique applicable, si
l’évolution des tâches doit s’analyser en un simple changement des
conditions de travail ou en une modification du contrat de travail.
L’appréciation de la nature de l’évolution des tâches risque en cas de
désaccord entre l’employeur et le salarié d’aboutir à des ruptures du
contrat de travail, l’employeur n’ayant pas d’autre alternative que de
procéder à un licenciement pour motif personnel s’il considère qu’il
procède à un simple changement des conditions de travail qui est refusé
par le salarié.

Si l’évolution des tâches s’analyse en une
modification du contrat de travail, laquelle aurait pour origine un
motif économique tenant aux mutations technologiques, le refus du
salarié d’accepter la modification devrait là aussi conduire à des
ruptures du contrat de travail. De plus, si 10 salariés au moins
refusent une modification de leur contrat de travail, sur 30 jours, dans
une entreprise de 50 salariés au moins, l’employeur devra alors mettre
en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi.

Afin de limiter des
discussions sur la nature juridique de la transformation de l’emploi
ainsi que des ruptures de contrat de travail en raison du refus d’un
salarié d’exécuter de nouvelles tâches, l’une des voies à explorer
pourrait consister, au moyen de la négociation collective, à définir ou
préciser le contenu des emplois impactés par de nouvelles technologies. À
cet égard, la négociation collective au niveau de la branche relative
aux classifications représente un enjeu décisif pour intégrer des
nouvelles tâches, notamment numériques, dans le descriptif des emplois,
puisque les classifications sont l’un des 13 domaines dans lequel
l’accord de branche prime sauf garanties au moins équivalentes prévues
par l’accord d’entreprise (C. trav., art. L.2253-1). Les nouvelles
tâches liées au numérique relèveraient alors de la qualification du
salarié dont l’emploi a évolué du fait des nouvelles technologies, si
bien que l’évolution de l’emploi pourrait s’analyser en un simple
changement des conditions de travail n’exigeant pas l’accord du salarié.
Cela
étant, le dialogue social au niveau de la branche, s’il est
indispensable pour donner les grandes orientations, ne sera à l’évidence
pas suffisant à lui seul. Pour que les nouvelles technologies soient
accueillies favorablement par les salariés, un dialogue large mériterait
d’être décliné avec les salariés au niveau de l’entreprise afin de
trouver une bonne complémentarité entre l’intelligence humaine et
l’intelligence artificielle. La mission Cédric Villani propose à cet
effet de modifier le contenu de la négociation annuelle sur l’égalité
professionnelle et la qualité de vie au travail, pour prendre en compte
l’adaptation des compétences et la complémentarité entre l’être humain
et la machine du fait de l’introduction des nouvelles technologies.


La formation des salariés : un enjeu fondamental

La transformation des emplois, en particulier les moins qualifiés
mais pas seulement, qui va notamment se traduire par l’automatisation
d’un certain nombre de tâches pose inéluctablement la question de la
formation des salariés dont le poste serait supprimé ou modifié. Se
posera alors en particulier la question du contenu de l’obligation de
formation de l’employeur lorsque le salarié ne dispose pas des
compétences pour accomplir les tâches confiées qui risquent d’être plus
complexes. L’employeur aura-t-il l’obligation d’assurer une formation
dite qualifiante lorsque celle-ci est indispensable ? Rappelons à cet
égard que l’employeur a l’obligation d’assurer l’adaptation des salariés
à l’évolution de leur emploi et doit veiller au maintien de leur
capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des
emplois, des technologies et des organisations (C. trav., art. L.
6321-1). Pour autant, cette obligation, sauf à ce que demain les juges
en fassent une interprétation extensive, ne semble pas imposer
aujourd’hui d’assurer au salarié une qualification qu’il n’a pas.

Afin
d’accompagner la reconversion professionnelle des salariés, outre le
plan de formation de l’entreprise, un autre outil pourra également être
mobilisé dans les entreprises de plus de 300 salariés, la GPEC
qui permettrait d’anticiper l’évolution des métiers et les mesures à
mettre en place pour accompagner cette évolution notamment en termes de
formation.

La formation doit ainsi, comme le soulignent les
rapports de France Stratégie et de la mission Cédric Villani, être au
cœur des réflexions et des travaux qui seraient engagés tant par les
pouvoirs publics que par les partenaires sociaux. Si on veut éviter un «
drame social » avec des salariés qui ne pourront pas s’adapter face à
l’automatisation des emplois, c’est maintenant qu’il faut réfléchir aux
évolutions qui peuvent être apportées aux dispositifs de formation pour
accompagner les transformations annoncées. Il ne faudra pas non plus
négliger d’analyser l’impact de ces transformations sur les conditions
de travail et la santé des salariés. Rappelons là aussi que l’employeur a
une obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés qui lui impose de
prendre les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité et protéger
leur santé physique et mentale (C. trav., art. L. L.4121-1). Le
non-respect de cette obligation l’expose notamment à une condamnation à
des dommages et intérêts qui sont parfois très élevés.

 
Source : WK-CE

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