Secrétaire national CFE-CGC,
Jean-François Foucard évoque la nouvelle application devant permettre à
chaque salarié, via son Compte personnel de formation (CPF), de trouver,
réserver et payer la formation de son choix.



Que pensez-vous de l’application Moncompteformation lancée fin novembre par le gouvernement ?

Il faut introduire un peu de contexte. Le Compte personnel de formation
(CPF) a pris en 2015 la suite du Droit individuel à la formation (DIF)
créé en 2004 qui, à l’époque, était exprimé en heures et n’était pas
financé directement en tant que tel : il n’y avait pas de budget annuel
associé à ce dispositif. Lorsqu’une formation était envisagée pour un
salarié, son financement pouvait être pris dans la bassine de ce qu’on
appelait la professionnalisation par les organismes paritaires
collecteurs agréés (OPCA), qui contenait le contrat de
professionnalisation, la validation des acquis de l’expérience (VAE) et
le DIF.

La grande évolution de la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018,
c’est que ce compteur en heures a été transformé en une somme en euros
rattachée à chaque salarié. Chaque actif (hors agent public) cumule
désormais 500 ou 800 euros par an sur son CPF qu’il peut utiliser pour
financer la formation de son choix parmi les 12 000 offres figurant au
Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). On est
donc passé d’une dimension collective à une dimension individuelle.
Collective parce qu’auparavant, c’était les OPCA qui déterminaient le
niveau de prise en charge des formations ; individuelle parce
qu’aujourd’hui, vous avez votre argent et vous vous débrouillez !

Est-ce une bonne chose ?

Les sigles et les dispositifs ne sont que des outils. Derrière tout
cela, il y a une volonté politique. Le pari du gouvernement actuel est
que les salariés vont se former massivement en dehors de leur temps de
travail en choisissant et en payant eux-mêmes leurs formations. Et
qu’ils se débrouilleront ensuite pour valoriser cela dans le cadre de
leurs parcours professionnels. Le moins qu’on puisse dire est que nous
sommes sceptiques.

« LA FORMATION PROFESSIONNELLE EFFECTUÉE EN DEHORS DU TEMPS DE TRAVAIL ET DES PRESCRIPTIONS DE L’ENTREPRISE NE MARCHE PAS »

 

Pour quelles raisons ?

Parce que la formation professionnelle effectuée en dehors du temps de
travail et des prescriptions de son entreprise ne marche pas. L’exemple
du CNAM ou des MBA que l’on se paye soi-même à prix d’or montre qu’il
est très difficile de valoriser de telles formations dans une carrière.
Vous avez beau travailler comme une mule le soir et le week-end pour
passer un diplôme d’ingénieur, si vous n’êtes pas accompagné par votre
entreprise, il y a peu de chances qu’elle vous augmente ou qu’elle vous
propose une promotion à la sortie.

Sur le plan pratique et intellectuel, il n’y a pas de doute que les
cadres sauront se servir de l’application lancée par le gouvernement.
Ils pourront utiliser leur CPF de façon autonome, certes, et
sélectionner les blocs de compétences à leur guise. Y compris pour
satisfaire des aspirations culturelles en optant pour des formations en
œnologie, mycologie, découverte des étoiles, etc. Mais nous pensons que
le nombre de ceux qui vont en tirer une plus-value professionnelle va
être extrêmement faible.

 
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Pensez-vous que cette application donne aux salariés une sorte de fausse autonomie ?

À la CFE-CGC, nous pensons que pour qu’une formation professionnelle
soit efficace, il ne suffit pas de cliquer dans un catalogue en ligne.
Il faut, entre guillemets, « acheter » une formation par rapport à un
but professionnel. La formation n’est pas une fin en soi, c’est une
étape dans une carrière. Elle dépend de la connaissance que l’on a de
ses capacités, de son point de départ professionnel et de l’endroit où
l’on souhaite arriver. Il faut savoir si une formation est possible dans
le temps imparti, si elle correspond aux attentes de l’employeur, aux
besoins du marché, aux critères d’une reconversion éventuelle. Or il y a
toute une frange de la population française qui ne s’est jamais posé la
question des compétences qu’elle voulait acquérir, qui n’est pas
habituée à se projeter dans son parcours professionnel, ne serait-ce
qu’à trois ou cinq ans. Cette culture-là est très peu présente en France
et elle ne vient pas toute seule. Peut-être que nous l’aurons dans 20
ans mais, en attendant, cette application risque de devenir une
formidable usine à frustrations et à déceptions. Même si une infime
partie y trouvera son bonheur.

Quelle serait une façon efficace de procéder ?

La seule façon que le CPF soit réellement utile dans le cadre d’un
parcours professionnel, c’est de faire de la co-construction, du
co-investissement entre le salarié et son entreprise. C’est-à-dire
d’entrer dans une logique où l’entreprise donne son aval à la formation
suivie par le salarié et participe à son financement. Une grande partie
de l’enjeu va donc être de négocier des accords de co-investissement
autour du CPF. Les entreprises ne s’y trompent pas : il y a un gros
lobbying de leur part actuellement pour prendre la main sur le CPF des
salariés en échange de leur participation au financement. Sur le fond,
cela permettrait peut-être de mobiliser utilement des fonds pour les
parcours professionnels et la compétitivité du pays. Mais ce n’est pas
ce qui a été vendu par les pouvoirs publics, car en fait le choix dépend
surtout de l’entreprise et non plus de l’individu.

« LE COMPTE PERSONNEL DE FORMATION EST DRAMATIQUEMENT SOUS-FINANCÉ »

Quid du financement du dispositif ?

En comptant les actifs et les chômeurs, à peu près 24 millions de
personnes peuvent théoriquement tirer sur leur CPF. Si chacun le fait de
façon minimale, en se contentant d’utiliser son enveloppe de 500 euros
par an, on arrive à une dépense annuelle de 12 milliards d’euros. Or le
CPF est doté d’un budget de 1,5 milliard d’euros par an… Le CPF est donc
dramatiquement sous-financé.

Je rappelle qu’on s’attend à une baisse de la formation professionnelle
en 2020. Il n’y a de mutualisation de la formation que pour les
entreprises de moins de 50 salariés. Au-delà de ce seuil, tous les plans
de compétences qu’elles mettent en place sont entièrement payés par
leurs deniers. Elles font donc des choix drastiques. Ce n’est pas un
hasard si un certain nombre d’entre elles, afin de récupérer de l’argent
de la formation, commencent à forcer leurs salariés à utiliser leur CPF
pour des formations obligatoires. C’est illégal puisque ce type de
formation doit être payé par l’employeur. Mais d’une part, le pouvoir de
dire non des salariés en la matière est très relatif ; d’autre part,
quel gendarme va être en mesure de prouver que le salarié n’est pas
consentant, puisqu’il fait ce qu’il veut de son CPF ?

Sur le fond, comment la CFE-CGC juge-telle la loi Avenir professionnel dans son ensemble ?

La CFE-CGC a combattu l’instauration de cette loi mais nous souhaitons
évidemment la réussite de la formation professionnelle ! Pour en revenir
à l’application, nous sommes très dubitatifs. Pour réussir les
transitions professionnelles, il aurait mieux valu, de notre point de
vue, augmenter de façon massive le financement du CPF de transition
professionnelle (ex-CIF). Une vraie transition coûte cher mais est très
utile parce que les gens rebondissent. Là, il s’agit de saupoudrage.

Après, il va falloir examiner le résultat. Si l’on veut être positif, la
meilleure chose serait que l’appli fasse un tabac, sauf qu’on se
retrouverait face à deux problèmes : la question du financement, avec le
risque que tout s’arrête faute d’argent ; et la gestion de la
frustration des gens qui auront choisi une formation inappropriée à leur
parcours et qui n’en retireront pas de bénéfice professionnel. L’outil
marchera, on dépensera des sous, cela fera plaisir à des utilisateurs et
ça fera travailler des boîtes de formation, mais quelle sera la valeur
ajoutée pour la collectivité ? Était-ce le but du jeu ?

Quand pourra-t-on tirer un premier bilan ?

Au bout d’un an, on aura déjà des premiers indicateurs sur le niveau
d’appropriation par les salariés et sur les types de formations qui
fonctionnent. Après, pour vraiment faire un bilan factuel, je pense
qu’il faudra trois ans.

Source : site confédéral CFE-CGC

Demain sur ce blogue : 
Les cadres Adecco frappés de plein fouet par la réorganisation 

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