
Si « l’exode urbain » dont beaucoup parlaient n’a pas eu lieu, un engouement des citadins pour la vie à la campagne a bel et bien été observé. Les déménagements des villes vers les territoires ruraux sont, en effet, passés de 17,2 % à 18,1 % après la crise sanitaire, d’après l’enquête « Exode Urbain : un mythe, des réalités », commandée par le Réseau rural français en mai 2023. « Les départs des grandes métropoles vers les communes rurales (environ 32 000 en France, ndlr) étaient un phénomène préexistant à la crise, confirme Laure Di Franco, directrice de la Confédération nationale des foyers ruraux (CNFR). Mais, cette dynamique s’est accélérée, et a été plus visible, au moment du Covid-19. Les principaux flux migratoires se sont dirigés vers des territoires déjà attractifs. » Des exemples ? La Vallée du Rhône, le cœur de la Bretagne, ou celui de la Nouvelle-Aquitaine. En revanche, « les territoires ruraux traditionnellement délaissés le sont restés », comme la Normandie, le cœur du Massif central, ou encore le piémont pyrénéen, précise-t-elle.
La pandémie a été un catalyseur de mobilité géographique pour les Français qui avaient déjà à l’esprit de plier bagage pour changer d’environnement de vie. Les profils de ces néoruraux sont “variés”, indique la directrice de la CNFR. Ce sont des familles avec de jeunes enfants, dont les parents ont entre 25 et 40 ans, des ménages de classe ayant la possibilité de télétravailler, ou encore, des actifs désireux de se reconvertir professionnellement. Ce sont aussi des personnes ayant traversé un épisode de vie difficile (burn-out, maladie de longue durée) souhaitant rompre avec la frénésie des métropoles, en renouant avec un mode de vie alternatif, plus solidaire. Parmi eux, certains se sont inscrits dans une logique multi-résidentielle : ils ont un pied en ville, l’autre à la campagne. “L’instauration du télétravail a permis, notamment aux cadres, de s’éloigner physiquement de leur lieu de travail, sans pour autant en changer”, rappelle Anne Zerbin, directrice des opérations chez Expectra. Selon elle, cette situation est “idéale » : “Ils gardent les bénéfices des métropoles, à commencer par le maintien d’un salaire élevé, tout en ayant la possibilité de se ressourcer régulièrement près de la nature”. Nombreux sont ceux qui ont redéfini leur rapport au travail. “Ils voulaient retrouver leur liberté, prendre des risques, faire ce qu’ils n’avaient jamais osé faire !”, pense la dirigeante d’Expectra.
Rareté de l’emploi
D’autres ont définitivement tourné le dos aux grandes villes, « dans la limite des opportunités d’emploi”, nuance cette dernière. Car, l’essentiel des offres, en particulier pour les cadres, se concentre dans les métropoles. Seulement 7 % des actifs ruraux exercent une profession intellectuelle supérieure, contre 43 % à Paris. 6 % des actifs ruraux travaillent dans l’agriculture. Les autres sont ouvriers, artisans, ou encore, commerçants. « Les modes de travail évoluent, mais nous ne vivons pas encore dans un pays où les entreprises sont décentralisées. Après le Covid-19, elles ne se sont pas implantées dans les zones rurales, souligne Anne Zerbin. Elles perdraient en attractivité, passeraient à côté de potentiels talents. C’est pourquoi il n’y a pas eu de recrudescence d’opportunités d’emploi depuis 2020 dans ces territoires, surtout dans le tertiaire.” Les projets professionnels des nouveaux arrivants portent, donc, sur des projets d’autoentreprise de services (consultant, coaching personnel, bien-être), d’artisanat, de maraîchage, ou de cultures à haute valeur ajoutée (plantes aromatiques, par exemple).
Cet éloignement des métropoles s’est également limité “aux accès aux gares et autres commodités”, développe-t-elle, comme les structures éducatives, les prestations médicales, les événements culturels. Un phénomène mis en lumière dans l’ouvrage Loin de Paris. Raconter les territoires, de Salomé Berlioux et Félix Assouly, publié en janvier 2025 (Éditions L’aube). Les auteurs soulignent, en effet, que des vagues successives de fermeture de commerces ou de retrait des services publics ont été enregistrées ces dernières années : baisse des effectifs dans les préfectures, fermeture de tribunaux, réduction du nombre de lits d’hôpitaux, suppression de maternités. Selon les chiffres du ministère de la Santé, la désertification médicale touche plus de 8 millions de Français, principalement dans les territoires ruraux. 11 jours d’attente sont nécessaires pour obtenir une consultation chez un généraliste, tandis qu’on compte seulement 8 places en crèche à moins de 15 minutes pour 100 enfants de moins de 3 ans en zone rurale, contre 26 en milieu urbain. Sept femmes sur dix considèrent, elles, que l’offre de formation supérieure ou professionnelle à proximité ne répond pas à leurs besoins et/ou à ceux de leurs enfants. « La plupart des citadins ne sont pas prêts à renoncer aux services et aux loisirs qu’offrent les villes. Il ne faut pas que le déséquilibre avec leur mode de vie habituel soit trop radical, sinon une grande insatisfaction est à prévoir”, prévient Anne Zerbin.
Tisser des liens sociaux
Une fois installé, et ce peu importe le projet professionnel, « il est fondamental d’être dans une démarche proactive afin de développer une vie sociale”, insiste Laure Di Franco. Cette démarche est facilitée, selon elle, lorsque les néoruraux ont « un attachement antérieur, de près ou de loin, avec le territoire d’accueil”. Quant aux autres, poursuit-elle, « ils ne doivent pas arriver avec trop de fantasmes en tête. Ils doivent faire l’effort d’apprendre de nouveaux codes, de s’intéresser aux locaux. Mieux vaut éviter d’arriver en conquérant, en privilégiant l’humilité, la sincérité. Cette posture d’ouverture permettra de faire de nouvelles rencontres, de s’intégrer plus facilement.” Les néoruraux, en collaboration avec les ruraux, développent ainsi des cafés associatifs, des épiceries coopératives, des offres culturelles, ou encore, des réseaux de militants. « Ces échanges contribuent à la renaissance rurale. Elle est nécessaire pour redonner vie aux campagnes, leur permettre de s’adapter aux enjeux de l’époque”, affirme la directrice de la CNFR.
Source : Courrier Cadres


