Article paru dans Le Matin Dimanche, “l’unique journal dominical de Suisse romande” :

 

Adecco est dans le collimateur du fisc français

Un code de conduite.
C’est ce qu’affiche le leader mondial de l’intérim sur son site
internet. En dix langues, et avec le sourire, le patron d’Adecco, dont
le siège social est à Glattbrug, au Nord de Zurich, rappelle que
« Respecter les règles éthiques et de droit est une condition du succès
du groupe ». Et que « chacun d’entre nous se doit de les appliquer ».
Avec un bénéfice net en hausse de 30% au premier semestre 2014, après
des mois d’atonie, le succès est de nouveau au rendez-vous pour le
spécialiste du travail temporaire.
En ce qui concerne le respect des règles, par contre, c’est une toute
autre affaire. Car depuis quelques mois, Adecco serait en délicatesse
avec les autorités françaises, a appris Le Matin Dimanche.
A Pantin, près de Paris, les inspecteurs très aguerris de la
Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) ont le
nez dans les comptes de la multinationale. Ce qui chagrine les
enquêteurs, c’est le montant des royalties versées par Adecco France à
sa maison mère : celles-ci seraient bien trop élevées.
Ces versements étaient de près de 82 millions d’euros en 2012, de
plus de 90 millions en 2011, de 82 millions en 2010… Sur le principe, le
virement est légal, puisqu’il se fait au titre de la « redevance de
marque »: en clair, la filiale française paie une sorte de prime pour
pouvoir utiliser le nom et la notoriété d’Adecco. C’est à ce titre que
depuis 2006, elle transfère entre 2% et 4% de son chiffre d’affaires
annuel au siège suisse. Le problème, c’est que ce pourcentage serait
surévalué. Pour augmenter les charges, diminuer artificiellement son
bénéfice et, du même coup, ses impôts.
Mais cette astuce ne grève pas que les finances publiques françaises.
« Elle a aussi un impact direct sur le pouvoir d’achat des quelque 5000
salariés d’Adecco France », relève Ousmane Cissakho, secrétaire du
comité central d’entreprise. Cette instance interne à Adecco, dont
l’existence est régulée par la loi française, a accès aux comptes
annuels de l’enseigne. Et selon son rapport, avalisé par un expert, les
redevances payées en trop à Zurich ont empêché le groupe de verser à ses
collaborateurs la participation au bénéfice, comme le prévoit le droit.
« En 2011, 6.5 millions d’euros auraient du être partagés à ce titre »,
précise Ousmane Cissakho.
Pour les employés, qui auraient du cette année-là recevoir plus de
1300 euros chacun, la pilule est dure à avaler. D’autant qu’Adecco
France, qui est pourtant le premier marché du groupe né en 1996, a subi
deux plans sociaux en quatre ans. « En outre, il a obtenu plus de 300
millions d’allègements fiscaux de la part de l’Etat français, souligne
Arnaud De Brienne, secrétaire adjoint du comité central d’entreprise.
Comment une firme en litige fiscal, qui siphonne ses bénéfices vers la
Suisse, peut-elle toujours bénéficier d’aides publiques ? »
Ces types de montages, connus pour être utilisés notamment par
Google, sont devenus une priorité pour le fisc français et pour la DVNI,
qui analyse les comptes des 3500 plus grandes enseignes de l’hexagone.
Son directeur, Olivier Sivieude, expliquait au Sénat en juillet 2013
lors d’une audition officielle que « les entreprises déclarent des
redevances parfois au delà de 10 % du chiffre d’affaires ». Mais au sein
de ces montages, ajoutait-il, « il est difficile de prouver l’abus ».
En France, le code général des impôts ne prévoit pas de seuil maximal
de royalties à payer par une filiale à son siège social. Selon certains
experts, il préconiserait seulement un pourcentage de 0.82% du chiffre
d’affaires. « Mais tout dépend de la notoriété de la marque et de la
structure du groupe, relève Olivier Charpentier-Stoloff, avocat
fiscaliste à Paris. En fait, l’évaluation se fait au cas par cas ». Et
même quand l’abus est prouvé, que risque l’entreprise ? Rarement une
condamnation pénale – souvent, l’affaire se négocie discrètement et se
règle par une simple amende.
C’est ce qui s’est d’ailleurs passé avec Manpower, autre groupe
mondial actif dans le placement de personnes, qui a du payer au total 33
millions d’euros pour un trop-plein de redevances versées à son siège
américain entre 2007 et 2011, selon les chiffres révélés par une section
syndicale de Manpower France. Dans ce cas, les royalties annuelles
étaient trois fois inférieures à celles d’Adecco. Chez Adecco France, la
direction aurait provisionné un compte avec 100 millions d’euros pour
faire face à d’éventuels redressements de la DVNI.
Personne, au siège suisse d’Adecco, n’a répondu à nos questions. Chez
Adecco France, on rappelle que « le groupe (…) est contrôlé
régulièrement par les autorités fiscales françaises, en l’occurrence la
DVNI », qui « regarde de près les relations bilatérales et la politique
des prix de transfert entre la France et la Suisse, dont les
redevances ». En 2013, les dividendes versés aux actionnaires du groupe
ont été augmentés de 11%.

Marie Maurisse

Source : Le Matin Dimanche

4 Commentaires

  1. Vu l'actualité de ce jeudi 6 novembre : Adecco n'aurait-il pas une holding au Luxembourg ?
    Ça ferait un bon article, et pas seulement sur votre blog…

  2. PS : bien sur qu'on sait tous que la redevance versée n'est rien autre que de la fraude fiscale très mal déguisée. Il était temps que quelqu'un à Bercy s'y attelle (c'est leur passivité qui est scandaleuse).

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